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l’énorme danger. L’Adriatique à leur merci, la Méditerranée de même, des troupes nouvelles non aguerries et aucune place garnie ou en état, en cas de retraite, de nous recevoir, cette idée était désolante ; et, chaque matin, quand je servais la soupe en famille, où nous sommes neuf, le Roi, trois fils, trois filles et une belle-fille, cette affreuse idée : — Que deviendra tout cela ? — me déchirait l’âme ! »

Elle félicitait Gallo, qui avait négocié avec Cobenzl à Udine, d’avoir sauvé la monarchie autrichienne et épargné tant de sang et de malheurs. Grâce à son zèle, l’extérieur allait, pour quelque temps, être calme, mais cependant il faudrait beaucoup d’attention pour se soutenir dans la crise qui remuait toute l’Europe. La Reine priait Gallo d’obtenir de Buonaparte le maintien du général de Canclaux à Naples, homme de distinction et de tact qui valait mieux « qu’un citoyen ministre avec un grand sabre, des bottes éperonnées et de longues moustaches. » Le Directoire ne tint pas compte de ce désir et remplaça le gentilhomme Canclaux par le citoyen Trouvé, un parvenu révolutionnaire, grossier, arrogant et haineux.

Marie-Caroline continuait à s’enthousiasmer au sujet de Buonaparte. « Malgré tout le mal qu’il nous a fait en Italie, je dois avouer, écrivait-elle le 27 octobre 1797, que j’ai de lui une haute opinion, et comme j’aime le grand en tout et partout, même quand je le trouve contre moi, je souhaite à cet homme rare et extraordinaire de réussir et de s’illustrer hors d’Italie. Je prévois que le monde retentira encore de son nom et que l’histoire l’immortalisera. En tout, il sera grand, en guerre, diplomatie, politique, conduite, fermeté, talent, génie. Ce sera le plus grand homme de notre siècle. Malgré le mal qu’il nous a fait, je ne suis point revenue de mon enthousiasme pour lui. Tous ceux qui gouvernent et veulent continuer de gouverner, devraient suivre son exemple ! » Elle invitait Gallo à lui inspirer des sentimens d’amitié pour Naples et le désir de ne point leur nuire.

Le Directoire prévoyait, aussi bien que Marie-Caroline, l’avenir de Buonaparte. Au lendemain de Campo-Formio, désireux de le soustraire le plus rapidement possible aux ovations qui l’attendaient en France, il le nommait général en chef de l’armée d’Angleterre, puis lui donnait l’ordre de se rendre au Congrès de Rastadt pour parachever la paix avec l’Empereur.