Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chauffeur, au conducteur, au facteur, le « type C, » deux pièces et cuisine ; à un rang plus humble, le modeste « type I, » qu’apprécie le poseur indigène de la voie, issu du gourbi patriarcal. Ces maisonnettes sont dévolues à des ménages : plus d’une femme de mécanicien, qui ne lit pourtant pas les magazines prodigues de conseils « pour l’ornement du home, » sait donner à l’intérieur familial un aspect avenant, voire coquet, en dépit des rébarbatives toiles métalliques qui protègent contre le moustique et la fièvre, des dallages austères et de l’exiguïté forcée. Quant aux célibataires, deux « types F, » vastes caravansérails où les femmes n’ont pas accès, en abritent chacun vingt, et réunissent, sur d’élégans balcons couverts, autant de petites chambres. Chacun est en somme logé selon son emploi et son état ci ni. Mentor-Fénelon, dans la cité idéale aux sept classes superposées qu’il proposait aux rêveries de Télémaque-Duc de Bourgogne, n’eût certes pas fait mieux.

Un laboratoire analyse les échantillons d’eau prélevés chaque jour aux points du réseau où s’alimentent les locomotives : certaines eaux tunisiennes, riches en sels incrustans, sont d’une composition chimique si variable que la formule d’épuration quotidienne, rapidement transmises aux gares, risque de n’être plus la bonne quand on l’appliquera. Des dortoirs pour les mécaniciens de passage, des ateliers pour les réparations courantes, un dépôt où réside la machine en feu, prête à secourir les « détresses, » selon le mot expressif du chemin de fer, complètent les installations de la Compagnie.

Sur cet embryon de cellule sociale se sont greffés les organes essentiels de toute vie collective : une boulangerie, une épicerie, un poste de police et une poste aux lettres, une école de garçons une école de filles, une salle tenant lieu d’église et, pour ne pas faire mentir les statistiques, trois cafés farouchement rivaux.

L’organisation municipale est née spontanément, de la nécessité de nettoyer et d’éclairer les avenues, d’éviter les rixes, de faciliter les déménagemens. Un « Comité de cité » réunit l’inspecteur du mouvement, l’inspecteur de la traction, l’inspecteur de la voie, trinité classique du monde de « l’exploitation, » le chef de dépôt, qui commande aux locomotives, et le chef de section, qui fait l’office de « gérant de la Cité. » A l’inverse de bien des assemblées délibérantes, le Comité de la Cité n’est point affligé de la maladie d’intempérance législative, dénoncée