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variées qui tiennent compte de la cherté de vie de la résidence, du nombre des enfans, et constituent un intelligent essai d’appropriation du salaire aux charges réelles de l’existence, jouissant de congés réguliers, d’immunités de transport et de la perspective d’une retraite, il possède des privilèges ignorés de la plupart des ouvriers de l’industrie locale et de bien des fonctionnaires.

Le métier a sa contre-partie : la vie à Tunis et dans les grands centres est la vie urbaine de France, sans autre particularité locale qu’une hausse récente du coût de l’existence peut-être encore plus marquée que dans la métropole. Mais combien une petite station du « bled, » sur les hauts plateaux du Sud, diffère-t-elle de la gare du moindre village français ! Une maisonnette isolée, aux fenêtres grillées, aux portes blindées, qu’on a voulue capable, après l’insurrection de Kasserine, en 1906, de supporter un assaut de nomades, tout autour la solitude agrandie par la désolation du paysage, sans arbre, sans arbuste, parfois sans herbe, à quelques kilomètres le colon le plus proche, une fois, deux fois par jour le train de phosphates. Ce serait la vie contemplative dans toute son austérité, si le papier administratif à noircir et le téléphone à manœuvrer n’enlevaient le meilleur de ses loisirs au solitaire de cette nouvelle Thébaïde.

Mais le bled possède aussi, sur les plateaux du Centre, son essai de phalanstère ; en montant vers les gîtes miniers par la ligne de Kalaa-Djerda, à 121 kilomètres de Tunis, on découvre, après une longue et tortueuse escalade, au pied d’une colline, un moutonnement de toits rouges, alignés comme des képis un jour de revue. C’est Gaffour, la cité ouvrière, édifiée au cœur du désert, ou peu s’en faut, par la Compagnie Bône-Guelma.

Gaffour, « B.-G.-Ville, » se présente au visiteur comme une ville américaine de l’Ouest, ou, si l’on veut, comme un parc à la française, un parc où les arbres auraient été oubliés. A angle strictement droit, l’Avenue « un » et l’Avenue « deux » coupent l’Avenue de la Gare et délimitent les deux liles de maisonnettes réparties entre le personnel de la Compagnie selon la hiérarchie rigoureuse du chemin de fer. A l’inspecteur, au médecin, au chef de dépôt, au chef de section, le « type A, » le « type B, » quatre pièces, trois pièces et cuisine ; au mécanicien, au