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l’aimer et, l’aimant, jusqu’à présumer que j’en devinais, que j’en ressentais les significations lointaines et variées. On l’appelle éginétique : les artistes éginètes l’ont nuancé de la plus délicieuse manière. Mais il n’est pas né à Égine ; il est né là-bas, dans les îles dorées et roses, dans les Cyclades, comme Apollon, fils de Latone ; il est né du côté de l’aurore : et le premier qui le dessina sur la pierre avait longtemps regardé les jeux que font la lumière et les vagues. Le premier qui, sous ses doigts, le vit naître, nous lui prêtons l’émoi que nos légendes, ornées de nos chimères, attribueraient à une petite Ève devant le premier printemps de la terre : il l’admira et le baisa aux lèvres, comme j’imagine cette petite Ève qui prend des roses dans ses mains et les porte à son heureux visage. Ce sourire est né dans les îles ; puis, à travers la mer Égée, peuplée de sirènes, il est venu suivant le chemin de l’aurore ; il est venu sur des barques légères et bondissantes comme les chevaux du soleil. Il aborda sur les côtes orientales de la Grèce, en Attique et en Argolide. Égine le reçut, l’accueillit, le favorisa et le mena plus loin, dans les villes et les sanctuaires. Il embellit toute l’Hellade.

Ensuite, il eut bien l’air de mourir ; et, durant de longs siècles, on ne le vit plus : la terre s’était attristée. Soudain, il reparut, et comme un surprenant miracle, dans l’un des pays du soleil couchant et à l’époque de saint Louis, se posa sur les figures de la Vierge, des apôtres et des anges, à la cathédrale de Reims, illuminant les symboles d’une ferveur nouvelle. Durant trois siècles encore, il s’éteignit ; et enfin, Léonard de Vinci le trouva comme un dépôt qu’eût laissé, dans l’âme italienne, l’âme ancienne de la Grèce au temps de leur hyménée : il le posa sur les figures des saints personnages et il le vit fleurir, emblème du mystère, sur les prophétiques lèvres de Jean le précurseur.

Alors, le sourire qui était venu de l’Ionie intelligente et voluptueuse avait passé par les mêmes tribulations et entrevu les mêmes espérances que la foule des hommes inquiets. Il annonça les promesses de la vie future et indiqua le bonheur des élus ; il indiqua aussi la surprise émerveillée avec laquelle une nouvelle et vieille humanité se penchait sur les abîmes d’une âme que des sentimens de toute sorte compliquaient : et il fut l’allégorie d’une prévision surnaturelle.

Mais, en Grèce, quand il arriva, pareil à une aurore, et