Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardé plus de couleur ; il y a, dans sa physionomie, un attrait mystérieux. On la dirait jalouse d’un secret qu’elle ne dira pas. Ses yeux, vers les tempes, se relèvent ; ses joues sont tout animées par le sourire des lèvres.

Les archéologues déclarent que ces Corés de marbre ne sont pas des portraits. Je l’ignore, comme eux. Chacune d’elles, en tout cas, est une personne ; et elles sont différentes entre elles autant que les petites femmes dont La Tour a peint les âmes frivoles et rêveuses. La variété de leurs sourires est une abondante et précieuse richesse de l’esprit. Quel trésor d’une fantaisie admirable ! Quel trésor d’une coquetterie dont les nuances étaient analogues à celles d’un jardin fleuri ! L’on en respire encore le parfum.

Mais, bientôt, l’on subit une mélancolie extrême, à la pensée de toutes ces âmes qui furent gentilles, fières et avenantes et qui continuent de sourire après que l’oubli est tombé comme une cendre sur les objets de leur ferveur amusée. C’est dommage, ainsi que disait Brantôme, c’est dommage que le temps anéantisse les journées qui, sur des lèvres de jeunes femmes, éveillent tant de gaieté exquise. Et encore c’est pitié que survivent à leur plaisir de tels sourires. On les plaint avec une tendresse étonnée, voluptueuse et douce ; et l’on éprouve, à les regarder, un sentiment équivoque où se mêlent, pour mieux vous alarmer, l’idée de l’amour et l’idée de la mort.

*
*___*

Sur la terrasse d’Égine, auprès du temple d’Aphaïa, qui devint le temple d’Athèna et qui est un portique où la lumière mène ses farandoles, je songeais à tous ces sourires. Une charmante analogie m’apparut : elle me fit voir ensemble, et comme trois couronnes qui m’eussent entouré, l’azur et l’or de la mer et de l’horizon, les Kouroï archaïques et les Corés ioniennes, trois couronnes de sourires ; et il me sembla qu’elles se réunissaient en une seule, ample, merveilleuse et qu’a tressée le génie de la jeune Hellade. Le sourire innombrable des flots, des jeunes hommes et des jeunes filles, dans la splendide limpidité de l’air et dans l’odeur salubre des pins, rayonna mieux que le soleil et me persuada de n’aller point chercher ailleurs l'âme qu’il révèle en clartés radieuses.

C’est à Égine que je me suis épris de ce sourire, jusqu’à