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moins de répugnance à se faire baptiser que la mère de Guillaume Longue-Epée était chrétienne et que l’enfant lui-même, d’après la complainte déjà citée, avait été baptisé avant son père, sinon à sa naissance. Si la réalité de la conversion de Rollon n’est pas douteuse, sa sincérité a été mise en question. D’anciens chroniqueurs nous le montrent offrant des sacrifices humains à ses anciens dieux, soit au moment de son baptême, soit à l’article de la mort. Nous le voyons à la fois porter pieds nus la châsse de saint Ouen et faire commerce de reliques avec son allié le roi d’Angleterre Athelstan. La complainte sur la mort de Guillaume Longue-Epée nous dit même que Rollon mourut infidèle (morienle infidele suo patre).

Il est à croire que Rollon, comme beaucoup de ses compatriotes, n’était pas très affermi dans sa nouvelle foi. N’est-ce pas précisément ce dont se plaint Witton dans sa lettre à l’archevêque Hervé ? Et le Pape, consulté là-dessus comme on se le rappelle, se garde bien de se montrer intraitable. « Miséricorde, répond-il, inlassable miséricorde. Ces Normands ne sont pas des soldats du Christ, ce ne sont encore que des conscrits ; ils ne sont pas habitués au fardeau de l’Evangile, il ne faut pas le leur rendre insupportable. » Il resta longtemps des Normands non convertis ou mal convertis, non seulement dans le Bessin et le Cotentin où le parti « vieux normand » conserva très tard des racines, mais aussi dans les régions où l’assimilation semble s’être faite le plus vite. Ainsi, à la mort de Guillaume Longue-Epée (943), alors que Louis d’Outre-Mer et Hugues le Grand essayent de se partager la Normandie, Flodoard nous montre « les chrétiens » favorisant les envahisseurs qui, grâce à eux, prennent Évreux. L’attitude des chrétiens et la remarque de Flodoard ne s’expliqueraient pas s’il n’y avait eu là des « non-chrétiens. » Un siècle après, sous Guillaume le Conquérant, on cite encore de vieux Normands qui poussent le cri de guerre païen : « Thor aïe, que Thor nous aide, » au lieu du Dieix aïe chrétien.

Quant à Rollon, il prouva son orthodoxie à la manière des princes d’alors, par ses largesses plus que par ses vertus. Il fit de riches donations aux églises et aux abbayes, et fut enterré dans la cathédrale de Rouen, ce qui mit fin, s’il en eut réellement, à ses irrésolutions religieuses.