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en partant pour l’Amérique va certainement à un enfer, tandis que Daniel Cortis en rentrant en Italie, a encore pour se consoler relativement, ou pour « divertissement, » la politique, l’ambition, la gloire peut-être, tous les « deuils éclatans du bonheur. » C’est peut-être parce que dans Daniel Cortis la femme est encore plus héroïque que l’homme, que je trouve Daniel Cortis le chef-d’œuvre de Fogazzaro ; mais en tout cas je ne suis pas fâché que, dans un roman de Fogazzaro considéré généralement comme un chef-d’œuvre, la femme soit encore plus héroïque qu’un homme héroïque.

Et enfin j’ai dit que Fogazzaro avait un goût très vif et très sûr, — est-ce qu’il serait Italien sans cela ? Oui, car il y en a qui ne l’ont point ; mais encore et quoi qu’on dise, est-ce qu’il serait Italien sans cela ? — pour la réalité amusante, divertissante, comique et même bouffonne. Fogazzaro excelle dans le personnage secondaire qui est comique et qui est original. Il entoure ses personnages de premier plan de silhouettes plaisantes et drôles. Vous n’ignorez point que l’on n’est bien romancier que si l’on a cette faculté-là. Sans doute il y a quelques grands romans, La Princesse de Clèves, Manon Lescaut, Adolphe, l’extraordinaire Amour promis, tout récent, d’Emile Clermont, où il n’y a que des personnages principaux. Ce sont des tragédies, d’admirables tragédies. Mais dans le roman qui veut être un drame et c’est-à-dire donner, — un peu, — la sensation de toute la vie, dans Le Sage, dans Balzac, dans Dickens, il y a des silhouettes auprès des portraits, il y a des personnages secondaires auprès des personnages principaux et vivant d’une vie moins ample, moins riche, mais aussi intense que les personnages principaux, comme dans Shakspeare.

Or Fogazzaro abonde en personnages secondaires très vivans, très originaux et qui passent à travers l’action, mêlés et rattachés à l’action et qui nous divertissent et qui nous reposent et qui empêchent l’action d’être rigide et rectiligne et qui par eux-mêmes nous intéressent un instant et qui donnent au roman, je ne dirai pas la ressemblance avec la vie, mais une plus grande ressemblance avec la vie. C’est, dans Malombra, la comtesse Fosca, la mère amoureuse et adoratrice de son fils et qui s’emploie de toute son âme à marier son fils ; c’est, dans le même ouvrage, le vieux seigneur atrabilaire généreux et chimérique ; c’est encore dans la même œuvre, Steinegge, l’aventurier ou