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sympathique, Donna Fedele, est à la fois une croyante et une docile, et il est clair qu’elle ne se pose pas en mère de l’Église ; que seulement, elle fait le bien, dans sa foi et dans sa conscience, sans s’inquiéter de savoir si elle le fait contre le gré et contre les menées de certains ecclésiastiques ambitieux et avides. Il y a là critique des mœurs et non des institutions. Or, c’est ce qu’il me semble que Fogazzaro avait toujours fait, et dans Leila on peut constater discrétion, mais non pas rétractation, ni même recul.

Quant aux jeunes amoureux, jamais Fogazzaro, à mon sens, n’avait montré tant de fraîcheur, tant de jeunesse et tant de sens de la jeunesse. C’est un sens qui manque à beaucoup de romanciers, même de premier ordre. Il y a une psychologie du jeune homme et une psychologie de la jeune fille qu’ils ignorent, au moins en partie. Fogazzaro, qui n’avait jamais montré qu’il y fût très expert, qui avait peint surtout des jeunes gens déjà hommes et des jeunes filles déjà femmes, dans Leila a manifesté une science sûre de la logique passionnelle chez les très jeunes gens et chez les très jeunes filles, de leurs susceptibilités, de leurs soupçons, de leurs défiances, de leurs antipathies mêlées d’inclination et de leurs amours mêlées de résistance, de tout ce qui fait enfin qu’ils ne peuvent pas se comprendre et qu’ils se repoussent tout en se désirant en secret. Et c’est là que les jeunes romanciers peuvent apprendre la théorie du coup de tête, les défiances qui s’évanouissent et dont on se repent, aboutissant à un coup de cœur, et le coup de cœur à un coup de tête d’où résulte naturellement un coup de théâtre. George Sand (après Marivaux) excellait à ces jeux et il est touchant, il est réchauffant, il est cordial que Fogazzaro vieux, attentif à la jeunesse, ou se rappelant la sienne, y ait été maître souriant à son tour, beaucoup plus qu’il ne l’avait été à un âge plus rapproché de la trentaine. Il y a là un renouvellement aimable. Les renouvellemens les plus aimables sont ceux, sans doute, qui sont des rajeunissemens.

Daniel Cortis, que j’ai dit que je réservais pour finir par lui, se place au milieu même de la carrière de Fogazzaro et, quelque puissante impression que laisse Il Santo et qu’il est en possession de faire toujours, me paraît cependant le point culminant de cette belle carrière. Fogazzaro, étant donnés son âme et son esprit, devait un jour écrire le poème de la passion et de