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Et donc voilà Fogazzaro depuis ses commencemens, depuis sa jeunesse, au moins depuis sa trentième année : un catholique-protestant, extrêmement soucieux de morale et passionné de morale et né si romanesque qu’il ne peut pas s’empêcher d’écrire des romans. Conflit. D’un conflit semblable est née chez Tolstoï, à telle date, la résolution de ne plus écrire de romans et de renier ceux qu’il avait écrits et de condamner toute littérature romanesque et, presque, toute littérature. D’un conflit semblable est née chez Rousseau la résolution d’écrire des romans, mais très vertueux, très moralisans, ou qu’il jugeait tels, et qu’il vantait comme l’étant, tout en disant qu’ils ne l’étaient point, parce qu’il n’était pas incapable de contradiction. De ce conflit vint chez Fogazzaro non seulement la résolution, mais le goût, d’écrire des romans très vertueux, très purs, très élevés, très passionnés pourtant, et catholiques et anticléricaux.

Et cela lui fait une originalité très piquante et très savoureuse. Et cela lui donne plusieurs aspects. Tantôt il paraît un Ferdinand Fabre italien, obsédé du monde ecclésiastique et ne pouvant peindre que le monde ecclésiastique, satiriquement presque toujours, avec addition de quelques « bons prêtres » comme repoussoirs ou comme concession.

Tantôt il paraît un poète de la passion et de la passion profonde, mettant un homme pour toute sa vie en adoration et en possession d’une femme ou une femme pour toute sa vie en adoration et en possession d’un homme ; Italien à la Stendhal, Italien de 1810, chez qui l’amour est la respiration même et qui ne vit qu’en lui et pour lui ; si tant est que cet Italien ait jamais existé ; mais il est possible.

Tantôt enfin il apparaît comme le poète même du devoir, ne peignant jamais les passions que pour les faire vaincre par le devoir, par la passion du devoir, par la passion de l’estime de soi et de l’estime de l’autre, par la vertu énergique et ardente, s’enivrant d’elle-même ; et ne peignant les passions très vivement et ne les montrant extrêmement fortes et extrêmement brûlantes que pour montrer d’autant plus la vertu capable de tout surmonter, capable de tous les efforts, de toutes les victoires et de tous les triomphes.

Et je préviens que c’est ce dernier aspect qui est l’aspect définitif de Fogazzaro ; mais sans cependant qu’aucun des autres ait jamais disparu, se soit, même à demi, effacé.