Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fogazzaro a souvent mêlé, si l’on me permet de parler ainsi, un peu de Marina à beaucoup d’Edith dans ses créations féminines de plus tard ; mais n’anticipons pas et retenons seulement ceci que Fogazzaro a eu tout à fait, intellectuellement au moins et sentimentalement, l’adolescence et la jeunesse d’un romancier romanesque.

Cela se voit encore et fort bien dans le Mystère du poète, quoique, chronologiquement, devant être placé après Daniel Cortis. Le Mystère du poète est comme le roman de toutes les faiblesses humaines ou du moins de la plupart. Le poète est fatigué d’esprit et de corps et mécontent de lui, car il n’a dû qu’à certaines circonstances de ne pas céder à une passion à la fois coupable et vulgaire. Il rencontre une jeune fille, Violette, qui a aimé et dont l’amour a été repoussé, qui, depuis, s’est fiancée par raison à un homme qu’elle n’aime point. Leurs mélancolies s’amalgament, comme aurait dit Saint-Simon. La jeune fille rompt ses fiançailles et épouse le jeune poète. Mais elle était atteinte au cœur et, le soir même du mariage, elle meurt. Le poète ne se sent point séparé d’elle et c’est là son « mystère. »


Car ils sont revenus et c’est là le mystère.


Il vivra de cette vie que beaucoup connaissent, sans toujours s’en rendre compte, qui a comme ses racines dans la mort et sa fleur aussi dans l’air glacé de la mort.


Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.


Le Mystère du poète, beau comme quelques légendes allemandes, est un roman crépusculaire baigné d’une pâle lumière de Limbes.

Or, si profondément religieux, de quelque sorte qu’il le fût ; et dominé très impérieusement par la passion du poète romanesque et du romancier romanesque et du peintre de l’amour, que va faire Fogazzaro ? Ne se demandera-t-il point si ce n’est pas une chose coupable, en peignant l’amour, d’en jeter et d’en propager l’attrait et l’enchantement dans les âmes ? Fogazzaro n’est pas très éloigné d’être comme un janséniste qui serait dévoré de la passion du théâtre. Ne s’en apercevra-t-il point ? N’aura-t-il pas des scrupules ? Ne se fera-t-il pas des questions