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Et je partage le faible de Fogazzaro pour cette œuvre « touffue, » dit-il (non pas trop en vérité), dramatique, pleine d’incidens curieux et émouvans, pleine de rêves et d’une imagination qui, après tout, sait très bien ce qu’elle fait et où elle va ; car ce roman ultra-romanesque est parfaitement bien composé.

Or, et l’aurais-je deviné, je n’ose me flatter à ce point ; mais je suis bien content que Fogazzaro ait fait une préface, lui qui n’en faisait jamais, pour le dire ; c’est dans Malombra que Fogazzaro a mis le plus de son âme et c’est son adolescence et sa jeunesse qu’il a versées là. Par Malombra, éclairée par la préface qu’il y a ajoutée dix-sept ans après l’avoir écrite, nous savons : que, de douze à seize ans, Fogazzaro a été amoureux d’une jeune fille imaginaire « analogue à la sylphide de Chateaubriand, » qu’un peu plus tard, il rencontra l’original de Marina (la jeune fille fantasque de Malombra), qu’il l’aima passionnément et qu’en la complétant, défigurant peut-être, selon son rêve, il en a fait l’héroïne de son roman : « Pas un mot du roman n’existait encore sur le papier et la belle, hautaine, fantasque Marina me hantait déjà ; j’en étais amoureux et rêvais de m’en faire aimer. Elle était pour moi la femme qui ne ressemble à aucune autre, et je l’avais pétrie d’orgueil pour l’inexprimable plaisir de la dompter. Marina… est bien ce voluptueux mélange féminin de bonté, d’étrangeté, de talent et d’orgueil que je recherchais avec ardeur dans ma première jeunesse… Tout ce que j’ai lu depuis sur l’amour tel que le conçoivent certains soi-disant adorateurs de la beauté me paraît bien froid et bien sot en comparaison des ivresses qu’une femme comme Donna Marina aurait pu donner à un amant digne d’elle. Le personnage est donc une conception idéale ayant un noyau de réalité. » Mais, dit l’auteur encore, elle n’a produit dans l’œuvre postérieure aucune femme qui lui ressemblât. Elle « n’a pas eu de filles. » — Tout au contraire Edith, son pendant et sa rivale, la jeune fille sage, forte et maîtresse d’elle-même, est purement de création imaginative et c’est d’elle, avec des lignes moins rigides, que toutes les autres héroïnes de Fogazzaro ont procédé. Elle est née d’une « réaction » contre Marina et contre la séduction de Marina. Elle est née de la conscience, du sentiment religieux et de la peur que Marina et sa destinée a inspirée à l’auteur. « Elle est née de la terreur d’un abîme. » Quoi qu’il en dise,