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elle avait besoin, fondant, malgré lui, — c’est précisément ce qui serait arrivé, — une religion qui eût été le Christianisme libre, ou le Christianisme philosophique, ou le Christianisme scientifique et écrivant une suite ininterrompue de Discorsi. Et en effet, ce qui a beaucoup compromis sa propagande philosophique, je trouve un mélange, au point de vue littéraire très agréable, au point de vue intellectuel assez fâcheux, dans presque toutes ses œuvres, de choses religieuses et de choses d’amour ; je trouve toujours trop de dissertations religieuses dans ses romans romanesques et trop de dames dans ses romans religieux, et cet ambigu, comme disaient nos pères, est très loin de m’ennuyer, mais très loin aussi de me donner l’édification que l’auteur en attend.

C’est que, et voilà le troisième trait, Fogazzaro était amoureux ou, si vous voulez, amoureux de l’amour et romanesque jusqu’au fond de l’âme. Sa première œuvre, Miranda, œuvre absolument d’imagination, est exclusivement, — ou du moins il n’y a que cela qui en soit bon, — le journal d’une jeune fille amoureuse qui attend que l’aimé revienne, qui se consume en l’attendant et qui meurt quand, trop tard, il est revenu. Et c’est charmant ; c’est tendre, pur, élevé, ardemment mélancolique, et cela fait songer « à quelque ange pensif de candeur allemande, » et cela ne va pas à plus de prétention que de toucher le cœur et que de jeter dans l’esprit cette pensée : « L’absence est le plus grand des maux, mais pas pour vous cruel… » Et c’est de quoi l’auteur, à trente ans déjà sonnés, se contentait, sans que de cela je le blâme.

Et venait Malombra, le plus romanesque des romans romanesques, et qui rappelle étonnamment les premiers romans de Cherbuliez, le Comte Kostia par exemple. Vieux château sinistre où il s’est passé des choses effroyables ; vieux seigneur bizarre et inquiétant, jeune fille fantasque et énigmatique, encore que ravissante et ensorcelante ; en réplique avec la fille fantasque, une nouvelle Miranda, mais plus ferme, plus sûre de sa volonté et de son bon sens, droite, loyale, aimante et passionnée pour le devoir ; et la jeune fille fantasque fait mourir son oncle de frayeur et de désespoir, tue le jeune homme voluptueux et faible qui hésitait entre elle et l’autre jeune fille et se noie elle-même très volontairement et très passionnément, dans le lac romantique.