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concluante, a besoin d’être un peu prolongée. En attendant, il est difficile de lire sans quelque inquiétude la lettre que le directeur du chemin de fer de l’État vient d’adresser à ses agens inférieurs pour se plaindre des progrès que fait l’ivrognerie parmi eux. M. le directeur du chemin de fer de l’État mérite d’être félicité de sa lettre ; elle est courageuse ; mais la lecture de cette lettre laisse rêveur.

La situation des cheminots devait inévitablement provoquer une interpellation au Palais Bourbon ; elle a eu lieu le 14 avril ; on y a vu le gouvernement dans une attitude que jamais gouvernement, ni en France, ni ailleurs, n’avait encore eue jusqu’ici. Le langage de M. Monis et de M. Dumont a été celui de la pure démagogie. Ils ont l’un et l’autre parlé des Compagnies de chemin de fer comme si, en révolte contre l’État, elles méritaient d’encourir les pires rigueurs. Mais lesquelles ? Là est la question. M. Monis a dit à la Chambre la même chose que M. Briand, à savoir qu’il n’avait aucun moyen de contraindre les Compagnies : seulement, il l’a dit sur un tout autre ton que son prédécesseur, et où celui-ci avait mis un bon sens résigné, il a mis, lui, une sorte de rage. « Il y a des Compagnies, a-t-il dit, qui s’imaginent qu’elles prononcent des peines, et qui oublient que, même devant les tribunaux, la peine n’est prononcée qu’après une enquête, une instruction contradictoires. Et, cependant, telle a été la prétention des Compagnies qu’une solidarité étroite unit à ce point de vue. » Que de confusions dans ce langage ! J’emploie un ouvrier, il me quitte brusquement. J’en prends un autre à sa place, est-ce que je le révoque ? est-ce que je lui inflige une peine ? M. Monis, qui est juriste, devrait mieux respecter le sens des mots. Sa conclusion a été la suivante : « Je vous demande votre concours : donnez-moi la mission nette, précise, exacte, de retourner vers les Compagnies, afin que je leur demande avec plus d’énergie ce que je dois obtenir d’elles, et, si je ne l’obtiens pas, donnez-moi des armes pour l’exiger. » Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Mais de quelles armes M. Monis a-t-il voulu parler ? Nous n’en connaissons qu’une qui serait efficace : la dépossession des Compagnies au moyen du rachat. Que M. Monis demande le rachat, il sera logique avec lui-même : il a d’ailleurs dit aux cheminots, dans sa conversation avec eux avant l’interpellation, qu’il en était partisan. Lorsque l’État sera maître de tous les chemins de fer, il y fera ce qu’il voudra, il y réintégrera qui il lui conviendra. Ce qui est inadmissible, c’est qu’il prétende avoir la direction en vertu d’un droit éminent, du droit du prince, sans avoir la responsabilité. Qu’il