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l’initiative. Était-ce le moment de renoncer à cette procédure ? Dans le conflit qu’on avait imprudemment laissé naître entre la Marne et l’Aube, y avait-il seulement une question de droit à élucider ? N’y avait-il pas une situation politique très grave sur laquelle le gouvernement devait énoncer une opinion et assumer une responsabilité ? M. Monis a fini par comprendre à quel sentiment il se heurtait et alors, virant de bord, il a protesté qu’il gardait seul la responsabilité et qu’il la prendrait le moment venu ; le Conseil d’État n’avait effectivement qu’un avis à émettre, le gouvernement devait décider. Soit, mais il fallait le dire plus tôt ; il ne fallait pas surtout commencer par dire le contraire. Rien de plus pitoyable que les tergiversations de M. le président du Conseil. Alors le Sénat a cru bon de faire connaître ses propres vues et sur la proposition de M. Denoix, sénateur de la Dordogne, il a voté à une grande majorité un ordre du jour invitant le gouvernement à préparer un projet de loi qui supprimerait les délimitations et rendrait plus effective la répression de la fraude. C’était, à peu de chose près, la motion que la Chambre avait renvoyée à sa Commission d’agriculture. M. le président du Conseil, aidé de MM. Léon Bourgeois et Vallé, sénateurs de la Marne, et de M. de Selves, sénateur de Tarn-et-Garonne, a cherché à obtenir un ajournement, toujours comme à la Chambre ; mais le Sénat, passant outre, a voté la proposition de M. Denoix. L’aurait-il fait s’il avait prévu le déchaînement révolutionnaire et anarchique, la fureur de destruction qui ont éclaté aussitôt dans la Marne ? En votant comme il l’a fait, il a peut-être mis contre lui quelques apparences qu’il aurait mieux valu éviter, et il s’est exposé, ce qui est moins grave, à être taxé de « légèreté » par M. Jaurès. Toutefois, sa conscience peut se rassurer : Les désordres de la Marne étaient préparés depuis quelque temps déjà ; les maisons saccagées, incendiées et pillées figuraient sur une liste rédigée d’avance. Il aurait fallu une main autrement forte que celle de notre gouvernement pour en empêcher l’explosion. On avait semé le vent, on récoltait la tempête.

Le lendemain de l’événement, la Chambre, émue de tant de ruines et en craignant de nouvelles, a cherché à apaiser la Marne en votant au gouvernement un ordre du jour de confiance. Si elle éprouve ce sentiment, c’est qu’elle n’est pas difficile ; mais, si elle a pensé qu’on ne renversait pas un ministère en face de l’émeute et que les comptes à régler seraient réglés plus tard, elle n’a pas eu tort. Pour le moment, la Marne et l’Aube, décidées à défendre par tous les moyens leurs intérêts contraires, attendent ce que feront le Conseil d’État et