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son domestique. » Cette assertion de La Grange a beaucoup frappé M. Donnay. Et elle lui a été d’un grand secours. Ayant en effet pour programme d’étudier la vie de l’homme aussi bien que l’œuvre de l’écrivain, il lui importait de mettre en évidence les points où elles se rejoignent. Il s’est amusé à souligner ce parallélisme. Voyez, dit-il à peu près, comme les circonstances de la vie de Molière déterminent son œuvre ! Il épouse Armande ; il écrit l’École des maris et l’Ecole des femmes, deux pièces qui témoignent de la même préoccupation : peut-on être aimé d’une femme lorsqu’on a vingt ans de plus qu’elle ? A la même préoccupation se rattache le Mariage forcé. L’Ecole des femmes est violemment attaquée : il écrit pour se défendre la Critique de l’Ecole des femmes ; les attaques, les calomnies continuant, il répond par l’Impromptu de Versailles. « Il y a toujours dans cette Ecole des femmes un passage dont les dévots s’emparent pour l’accuser d’irréligion, alors que ses intentions sont sans noirceur ; ces susceptibilités, cette intolérance, cette mauvaise foi l’irritent. Il se dit : « Ah ! vous criez de la sorte pour mes pauvres chaudières bouillantes… Je vais vous faire crier pour quelque chose. » Et il écrit Tartuffe. Les dévots s’alarment et font interdire Tartuffe. A la hâte il écrit le Festin de Pierre, et de Don Juan il fait non seulement un débauché et un athée, mais encore un hypocrite, par vengeance de la cabale qui a arrêté Tartuffe. » Et ainsi de suite. Surmené de travail, il commence à sentir les atteintes du mal qui l’emportera. Il écrit l’Amour médecin et c’est sa première pièce contre la Faculté ! Voici le Misanthrope. Certes, Alceste n’est pas Molière : toutefois, Alceste est jaloux, et les chagrins d’amour, les tortures de la jalousie ne se devinent pas, il faut les avoir éprouvés pour les exprimer avec cette vérité et cette intensité. On n’exprime bien que ce dont on souffre…

Si l’on voulait à toute force chercher une chicane à M. Donnay, c’est par là que son étude prêterait à la critique. Il a trop cédé à la tentation de trouver dans la biographie, d’ailleurs si imparfaitement connue et souvent si conjecturale de Molière, le fil qui nous conduit sûrement à travers son œuvre. Hâtons-nous de dire qu’il s’est gardé d’attribuer à cette indication plus d’importance qu’elle n’en a. Il a très bien vu que les incidens de l’existence quotidienne ont été pour Molière l’occasion, non la matière de ses pièces. Les sujets lui sont venus d’ailleurs. Il y avait, au XVIIe siècle un répertoire traditionnel, une « matière comique » qu’il a exploitée à son tour en se l’appropriant et y mettant une fois pour toutes son empreinte. Les deux frères de l’École des Maris sont ceux des Adelphes que Térence lui avait légués.