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aux yeux du visiteur, la possibilité de restaurer par la pensée la réalité ancienne, de se créer à l’aide de reliques ou de traditions quelque chose comme une sensation présente adroitement restaurée, et d’aimer ainsi la Frédérique de jadis dans toute son amabilité accomplie.

9. — Par là, celle-ci peut désormais, — tout incident humain survenu dans l’intervalle étant négligé d’ailleurs, — se refléter encore une fois dans l’âme de son vieil amoureux et renouveler délicieusement au profit de ce dernier une douce, précieuse et vivifiante impression de bonheur présent.

Si l’on veut bien songer maintenant que ces sortes de réflexions lumineuses ainsi transposées dans l’ordre intellectuel non seulement conservent en vie le passé, mais relèvent même à une vie plus haute, on sera malgré soi reporté vers les images entoptiques qui, elles aussi, lorsqu’elles vont de miroir en miroir, sont bien loin de pâlir en chemin, mais au contraire puisent dans ces répercussions successives un plus vigoureux éclat. L’on aura donc choisi dans cette comparaison un heureux symbole des faits qui se sont produits souvent et se renouvellent encore chaque jour sous nos yeux dans l’histoire des arts, des sciences, de l’Eglise et même des événemens politiques. »

Telles sont les méditations sereines et détachées que suggèrent au vieillard illustre de Weimar les indiscrètes révélations de Naeke ! Ainsi l’ancien galant de Frédérique, qui la voit accuser à sa propre décharge d’une faute dégradante dont sa lettre à Mme de Stein, alors connue de lui seul, suffirait pour la disculper sans réserves ; ainsi cet ingrat séducteur n’a pas un cri involontaire, pas même un mot de colère ou de révolte devant une semblable profanation de ses plus chers souvenirs ? Le pasteur actuel de Sesenheim reste à ses yeux un personnage « sympathique et bien instruit ! » Il entend pour sa part « négliger tout incident humain » survenu depuis le temps de ses amours !

Cette page singulière fut publiée peu après la mort de son auteur avec d’autres œuvres posthumes comme un fragment sur les réflexions réitérées adressé au professeur Naeke. Mais les éditeurs n’ayant ajouté aucune explication plus précise, personne n’en put alors comprendre le sens et la portée véritable. Toutefois lorsqu’en 1840, après la mort de Naeke, ses amis offriront au public le récit de son pèlerinage de 1822 à