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un accident vient interrompre le courant qui alimente leurs foyers industriels surchauffés. Ou encore, ils subissent la loi commune à tous les êtres, loi qui fait d’échanges perpétuels avec leur milieu la première condition de leur vie. Il n’y a plus dans notre Europe occidentale de population qui puisse vivre enfermée sur elle-même ; toutes ont besoin de respirer, de s’alimenter à travers leurs frontières. On sait que l’homme recouvert en totalité ou sur une large surface par un enduit isolant qui rend sa peau imperméable, périt en quelques heures : en quelques semaines, plus ou moins rapidement, suivant l’intensité de sa vie industrielle, périrait une nation qui se verrait fermer tous ses échanges à l’extérieur.

Il faut se figurer le trouble apporté par l’état de guerre dans les populations condensées de nos pays. La seule mobilisation suffirait à créer une situation déjà grave, en désorganisant nombre d’ateliers de travail et en accaparant les transports. À ce trouble, plus marqué chez nous qui devrions appeler sous les armes une plus forte part de notre population, mais que l’Allemagne ne laisserait pas de ressentir, viendrait s’ajouter un trouble plus redoutable encore parce qu’il irait croissant à mesure que durerait la guerre : à ces populations tassées que nourrissent les grands pays de l’Europe moderne, il faudrait fournir du pain et du travail.

Du pain : car les contrées agricoles d’autrefois se sont métamorphosées. L’Allemagne, en 1870, comptait 75 cultivateurs pour 100 habitans : elle n’en a plus que 33. Elle est loin de produire sur son territoire tous les vivres nécessaires, comme il est bien prouvé par l’excès de ses importations alimentaires sur les exportations de même nature. Encore ces dernières consistent-elles surtout en bière et en sucre qui ne sauraient faire le fond de l’alimentation. Chez nous-mêmes, importations et exportations se balancent ; néanmoins, l’inégale répartition et composition des récoltes nationales, le départ des cultivateurs pour l’armée, les ravages locaux de la guerre, les besoins surabondans des troupes, la difficulté des transports intérieurs amèneraient inévitablement la famine en quelque endroit, à moins de convois reçus de l’étranger.

Il ne faut pas seulement des vivres, il faut du travail. Il est de toute nécessité que, la plupart des industries continuant à fonctionner pendant la guerre, elles reçoivent leurs matières