Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Ribot l’a rappelé et certes il en avait le droit ; il en avait même le devoir puisque l’alliance était mise en cause par des orateurs qui l’approuvaient sans doute dans son origine, mais qui n’étaient pas loin de la considérer comme morte, ou du moins comme tombée dans un état de langueur et de somnolence qui ressemble à la mort. N’a-t-on pas prétendu aussi, pour déprécier cette alliance, qu’elle a eu pour résultat de consacrer le statu quo territorial de l’Europe et qu’elle a marqué par là une renonciation définitive des espérances que nous avions longtemps gardées au fond de nos cœurs ? M. Ribot ne pouvait pas laisser dire tout cela sans protester, ni sans s’expliquer.

Il a rappelé comment l’alliance avait été conclue sur le pied de parfaite égalité entre les deux pays, par l’initiative de la Russie qui en avait la première senti l’utilité pour elle, et par une adhésion immédiate de la France qui n’en avait pas moins besoin. L’alliance était nécessaire aux deux pays pour sortir de leur isolement. La Russie n’ignorait pas ce que M. de Bismarck a depuis avoué dans ses Pensées et Souvenirs, à savoir que l’Allemagne, après avoir mûrement pesé les avantages pour elle de l’alliance russe ou de l’alliance autrichienne, avait résolument choisi cette dernière. Elle n’avait pas tort sans doute ; elle avait compris et suivi son intérêt ; mais la Russie se trouvait isolée. La France l’était également. Elle l’était d’autant plus que M. de Bismarck, avec la souplesse inventive de son génie, avait fait un arrangement complémentaire avec la Russie pour s’assurer sa neutralité bienveillante dans le cas où l’Allemagne serait en guerre avec une tierce puissance qui ne pouvait être que nous. Le jour est venu où la perception très claire de ce que cette situation avait de désavantageux et de dangereux pour les deux pays les a subitement rapprochés. Il n’y a pas eu là une question de sentiment, mais une question d’intérêt, et cet intérêt est le même aujourd’hui qu’alors : on l’a bien vu il y a deux ans, au moment où, comme l’a dit M. de Lamarzelle, l’Allemagne a mis le poids de son épée du côté de l’Autriche contre la Russie. M. Ribot, avec quelque ironie, a fait allusion à cette mise en scène. L’empereur Guillaume a parlé lui-même, non sans emphase, de l’attitude qu’il avait prise, recouvert de son armure étincelante, à côté de son allié, et il a attribué à ce geste chevaleresque le dénouement qui s’est produit ; mais il savait fort bien dès le début, puisqu’elle l’avait déclaré, que la Russie était résolue à ne pas faire la guerre, et dès lors ces démonstrations théâtrales, où l’Empereur a montré l’armure éclatante et où M. de Lamarzelle a vu surtout la lourde épée de l’Allemagne, avaient