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l’aurore même n’en apparaît pas à l’horizon. Peut-être aussi a-t-il contribué à donner une couleur plus sombre à l’interpellation que M. Gaudin de Villaine a adressée au gouvernement sur l’état de nos relations diplomatiques. Un pareil sujet est toujours délicat à traiter ; l’atmosphère du Sénat y est sans doute plus propre qu’une autre parce qu’elle est plus calme, plus reposée ; mais il n’y faut toucher que d’une main prudente, avec une documentation précise et soigneusement contrôlée, conserver enfin à chaque objet son caractère et sa proportion véritables et surtout ne rien exagérer. M. Gaudin de Vil-laine et M. de Lamarzelle, qui a parlé dans le même sens que lui, ont beaucoup exagéré les défauts et les périls de la situation actuelle : aussi le Sénat a-t-il éprouvé, en les écoutant, une impression de malaise que les discours de M. Ribot et de M. le ministre des Affaires étrangères ont heureusement dissipée ou atténuée.

Il serait injuste de dire des interpellateurs qu’ils ont parlé seulement en hommes d’opposition ; ce serait ne pas tenir compte de leurs affirmations réitérées et sincères que, dans des questions de politique étrangère, ils ne se laissent guider que par leurs sentimens de patriotisme ; mais ces sentimens eux-mêmes ne sont pas des guides tout à fait sûrs lorsqu’ils ne sont pas éclairés par une connaissance approfondie, ancienne et toujours mise au point, de questions diplomatiques dont les origines sont lointaines et qui évoluent sans cesse. MM. Gaudin de Villaine et de Lamarzelle ont cité des faits dont plusieurs sont exacts, mais qu’ils ont mal interprétés : il nous est impossible de reconnaître l’état vrai de l’Europe dans le tableau qu’ils en ont tracé. A les entendre, la situation, qui était bonne pour nous il y a quelques années, s’est modifiée du tout au tout dans ces derniers temps, et nous ne pourrions plus compter aujourd’hui sur la solidité, sur l’efficacité de nos alliances ou amitiés, si elles étaient subitement mises à l’épreuve. Par négligence de notre part, défaut d’attention, défaut d’autorité aussi, car MM. Gaudin de Villaine et de Lamarzelle sont convaincus que la République ne saurait en avoir, une désagrégation intime et profonde s’est produite dans le groupement qu’on a appelé la Triple Entente. Qu’en reste-t-il désormais ? Notre alliance avec la Russie, n’ayant été dénoncée ni par elle ni par nous, continue de subsister, mais ce n’est plus qu’un papier sans vertu sur lequel nous aurions tort de faire fond, comme on a eu tort de le faire, en 1870, sur des alliances qui nous ont manqué au moment décisif. L’entrevue de Potsdam a été le coup de foudre qui a tout éclairé d’une lumière sinistre. Ce qui s’y est passé n’est pas