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vraie « fleur du Liban, » dont les portraits suggèrent le vocabulaire enivrant du Cantique des cantiques. Ce fut sa Vierge. Pourquoi pas ? On fait aujourd’hui de grandes affaires de ce qu’on appelle l’art religieux. C’est un concept récent et tout à fait insaisissable. Au moyen âge, tout art était religieux. Et de nos jours encore, tout ce qui est élevé, tendre, pur, est naturellement pieux. Quoi de plus dévot, de plus chrétien, que les Maternités du suave Eugène Carrière ? Mais ce peintre pensait que ce caractère mystérieux ne pouvait s’obtenir que dans l’ombre d’une existence assourdie et décolorée, par des formes sans bords, incertaines, dissoutes et spiritualisées. Hébert prouve qu’il n’en est rien. C’est par des procédés de la plus grande richesse, par des applications d’or, couvertes d’arabesques et de damasquinures, c’est par les définitions les plus rigoureuses et les expressions les plus concrètes qu’il a cru devoir faire revivre sa Madone. Il a voulu se conformer aux traditions des vieux maîtres, imiter jusqu’aux élémens matériels de leur palette et à l’aspect de leurs tableaux. Ses madones font penser à ces calmes ex-voto qu’on voit dans les musées de Sienne ou de Pérouse, aux triptyques amortis d’un Simone di Martino, d’un Matteo di Giovanni, surtout à ce morceau de fresque écaillée, pareil à une feuille d’or massif, où Pietro Lorenzetti incrusta la plus passionnée des Vierges, dans le crépuscule solennel de la crypte d’Assise.

Hébert était alors à Rome comme directeur de la Villa, charge qu’il remplit deux fois (près de vingt ans en tout). Il se regardait un peu comme l’ambassadeur de la culture française. Tout chenu maintenant, il semblait reverdir. De plus en plus, il se rapproche de la vérité et de la nature. Il ne peut même plus souffrir l’atmosphère artificielle, l’éclairage de l’atelier, ses ombres factices et pernicieuses. Il avait pris l’habitude du travail en plein air. Le jardin de la Villa s’appuie, à son extrémité, à l’ancien mur de Home, que surplombent les pins de la villa Borghèse, C’est là, sur le chemin de ronde, envahi par les plantes et devenu lui-même un fouillis de verdure, du côté qui touche au Bosco, que le maître élut domicile. Le soir, le couchant frappe les dômes des pins de la villa voisine ; on jouit alors pendant une heure d’une vraie illumination ; et cette réverbération étrange et mordorée explique la gamme particulière qui est celle d’Hébert en ses derniers tableaux.

Là, le vieux peintre chanta les dernières strophes de son poème. Comme Ingres vieillissant peignit encore la Source, Hébert fit l’Eve sinueuse qu’on admire aujourd’hui chez M. Jules Lemaître. Mais