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choses, écarte toute idée de mollesse et de fadeur. Pas une convention, pas une banalité, rien qui sente la routine et le laisser aller. On n’imagine pas langage plus physionomique, fait d’élémens plus expressifs, d’accens plus imprévus et plus particuliers. Et pourtant ces figures se chargent de signification. En elles s’incarne tout un passé. Il flotte derrière elles une longue suite de siècles, qui ajoute à leur grâce une sorte de grandeur anonyme et impersonnelle, la majesté d’un au-delà profond et permanent. Voyez les Filles d’Alvito, remontant du lavoir, entre les parois fauves d’une gorge farouche, avec leur démarche de statues ambulantes, leur sérieux profond, leurs bras de choéphores, et je ne sais quoi d’immense au fond de leurs regards ; voyez les Cervaroles allant à la fontaine, la cruche sur l’épaule, avec leur jupon de laine et leur coiffure sarrasine, sous l’arc d’un porche mycénien, — et vous saisirez la méthode ingénieuse, originale, d’un voluptueux, d’un observateur, de faible imagination, mais de goût raffiné, de sensibilité infiniment « artiste, » pour atteindre à l’ « histoire » sans sortir du réel, pour mettre de la poésie dans sa sensation, et nous faire hésiter, devant ses paysannes, si ce ne sont pas des Antigones et des Nausicaas.

Les dernières pages de la série n’ont plus la même valeur : le peintre sut sortir à temps de ce genre un peu étroit. Il vivait alors à Paris, et déjà se passionnait pour ses nouveaux modèles. Ce serait ici le lieu de dire un mot de ses portraits : malheureusement, il est difficile d’en parler. Il y en a peu dans les musées. On en trouvera quelques-uns parfaitement reproduits dans le livre de M. Peladan. Quelle jolie galerie on pourra faire un jour de ces portraits d’Hébert ! On rêve d’un de ces caprices de princes d’autrefois, d’une « Chambre des Beautés » comme celle de Windsor, où un despote romanesque collectionnait la fleur des grâces de son temps et respirait, dans un bouquet violemment embaumé, tout ce qu’un pays et un siècle exhalaient de parfums d’amour. Car lui aussi, Hébert, remplissait une « fonction ; » Avec son camarade et son ami M. Bonnat, il semblait s’être mis d’accord pour se partager la tâche. Si l’on réunissait leur œuvre dans deux salles voisines, on aurait une image de la société française pendant un demi-siècle. D’un côté la guerre, les arts, la politique, la gloire, tout ce qui a eu nom de courage, de science, d’habileté ou de génie : de l’autre, des regards flottans et des sourires. Les biographes et les philosophes iraient prendre des notes dans la première salle ; mais tous les amoureux s’attarderont dans la seconde, et qui nous ôtera l’idée qu’ils ont la meilleure part ?