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meuvent, en quelque sorte, dans l’éternel ; une cadence du fond des temps rythme des gestes séculaires. Ces paysans sont beaux. Pas une vulgarité, pas une faute de goût. La seule ambition est de ne pas mourir de faim. Passé cela, nul besoin, et la plus magnifique liberté intérieure. On comprend que cette race d’aristocrates exquis ait vu éclore la plus radieuse aventure spirituelle, la dernière création mystique du moyen âge. On se prend, là-haut, à douter de la civilisation. De combien de choses superflues nous nous embarrassons ! Combien notre confort a surchargé la vie ! Et ce bien-être, dont nous sommes si vains, que ne nous coûte-t-il pas en noblesse et en poésie ?

Ce n’est pas la douceur du christianisme franciscain, le charme de la plus suave atmosphère morale, qui retenaient le peintre dans sa bourgade de la Cervara : il y était enchaîné par les beaux yeux des Cervaroles. La beauté, pour Hébert, est toujours du genre féminin. En feuilletant ses cartons, vous rencontrez de loin en loin quelque rare silhouette de pâtre, de mendiant ou de chevrier ; mais dans ses ouvrages achevés, c’est-à-dire dans ses préoccupations constantes et sérieuses, il ne fait place qu’à la femme. On trouverait difficilement un art plus exclusif. Rarement même, chez lui, vous verrez une scène à plusieurs personnages. Une figure, deux au plus, et presque jamais trois, par conséquent nulle anecdote, pas de « sujet, » à peine un titre, rien qu’une attitude simple, un motif sculptural, une idée plastique, en un mot, complète en elle-même, vivant d’une vie indépendante, formant un « tout » parfait et une « fin en soi, » voilà de quoi suffire aux investigations du peintre, tant il est occupé à l’expression d’un objet unique et absorbant. Plus tard, il se circonscrit et se résume encore : il se contentera de la demi-figure, et telle est la formule de ses derniers ouvrages.

Ainsi, de degré en degré, à force de choix et de synthèse, Hébert arrive à l’art supérieur : son naturalisme devient « classique. » Le miracle est qu’il ne s’y mêle aucun soupçon de pédantisme. Ces œuvres se ressentent du moment où elles ont été conçues. Elles respirent le bonheur. Rien d’ennuyé. Le peintre n’embellit pas ses modèles : pour quoi faire ? mais il travaille con amore ; pas un trait, pas un pli, qui n’ait été cherché, essayé, modifié vingt fois, trié entre vingt autres. Jamais la ressemblance n’est assez délicate, le relief assez saillant et assez enveloppé, jamais l’ensemble et le détail, les valeurs et la forme ne sont assez « écrits » ni assez arrêtés dans une matière dense, un peu agatisée, qui semble appeler l’outil du graveur en pierres fines. Ce travail châtié, insistant, décuple la dignité des