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l’Abbesse de Castro ne trouvaient pas de lecteurs, en se disant qu’on les lirait vers 1880. Un jour, il reçut la visité d’un de ses jeunes parens, « prix de Rome » de l’année, qui se rendait en Italie comme pensionnaire de la Villa Médicis. Il fit causer ce garçon et lui donna un mot pour un de ses amis. Stendhal écrivait : « Ce jeune homme a peut-être une âme. »

Hébert avait alors vingt-deux ou vingt-trois ans. Fils d’un notaire de Grenoble, il était venu comme tout le monde faire son droit à Paris. Mais il y avait fait surtout de la peinture. On était à ce moment en pleine bataille romantique. L’élève n’en parait pas autrement troublé. Il suit avec flegme les leçons de David d’Angers et celles de Delaroche. Au fond, sous des dehors timides, c’était une âme indépendante, une organisation fière, délicate, opiniâtre. Seulement, cette énergie s’enveloppait de grâce et se veloutait de douceur. Son Dauphiné, c’est déjà à moitié l’Italie. Ses portraits le crient : ses beaux traits, ses yeux caressans, l’ambre mat de sa peau, la soie de ses cheveux, sa barbe d’ébène, ses lèvres charnues et bien peintes, tout nous parle d’un sang plus chaud, d’une race plus ardente : c’était réellement un « enfant de volupté, » une nature « surfine, » c’est son mot, dans un corps un peu menu, mais de formes parfaites. (Plus tard, il boita faiblement, s’étant cassé la jambe, en tombant, à Florence : infirmité légère, qui ajoutait à tant de grâces une grâce de plus, celle de paraître à plaindre.) Enfin, au fond des yeux, il emportait encore quelque chose de son pays : une vision d’eaux courantes et de transparences glacées, de ces ondes froides et vierges, filles des neiges, et si pures qu’au fond de leur cristal, sur les cailloux multicolores, on voit filer la truite, parmi les herbes remuées… Oui, ce jeune homme avait une âme.

Elle allait se dégager au contact de l’Italie. Pas tout de suite, cependant. A Rome, on est d’abord étourdi, accablé. On ne voit pas du premier coup la grandeur du spectacle, et on ne sent pas toujours ce qu’on en peut tirer. Il fallut du temps à Hébert pour digérer ses impressions. Il tâtonnait. Un mot d’Ingres vint l’éclairer.

Pour son envoi de première année, il avait composé la « figure » réglementaire. Le jour de l’inspection, le directeur parait, examine sans mot dire et laisse enfin tomber quelques phrases encourageantes. Il allait se retirer, quand il avisa dans un coin une étude épinglée au mur. C’était une pochade, l’œuvre d’une heure de flânerie, un de ces gueux de la place d’Espagne qui se prélassent sur les marbres saturés de soleil. « Qui a fait cela ? » gronda Ingres d’une voix menaçante.