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L’orchestre Colonne, aujourd’hui sous la main, ou dans les mains de M. Pierné, donna le mois dernier trois exécutions, beaucoup mieux que passables, d’un chef-d’œuvre trop difficile pour être jamais parfaitement exécuté : la Messe en , de Beethoven.

Ce n’est pas la fin d’une chronique qu’il faudrait consacrer à cette musique, infinie en étendue et en profondeur, pour en étudier, même sommairement, le fond et la forme, ou, comme disent les Anglais, la practical et la poetical basis, la technique et le sentiment. Dans l’ordre de la forme pure, un caractère surtout, cette fois, nous a frappé : celui de la mélodie. Ici, comme en toutes les œuvres de la dernière manière du maître, il semble bien que la mélodie beethovenienne ait d’autres dimensions et d’autres qualités, si ce n’est même une nature nouvelle. Quelquefois d’abord elle est plus courte. Pour la brièveté, je ne vois guère que le thème du premier morceau de la symphonie en ut mineur à comparer avec le débat du Kyrie, ou celui du Sanctus. Kyrie ! Sur ce mot, rien que sur ce mot, en trois notes, juste autant que de syllabes, il y a déjà mélodie : une mélodie qui déjà se répète et s’accroît, une mélodie génératrice et féconde, enfin une mélodie expressive. Sans être encore un chant, elle n’est qu’un appel, un cri, si l’on veut, mais il a sa force et sa beauté. Non moins courte (un mot et trois notes aussi), l’intonation initiale du Sanctus est une mélodie encore. Au contraire, d’autres thèmes de la Messe ont ceci de particulier, qu’ils se dilatent, pour ainsi dire, à l’infini. C’est l’Agnus Dei, dont la courbe n’embrasse guère moins de vingt-cinq mesures ; surtout c’est le Benedictus, où rien n’est plus admirable que cette « longueur de grâces » dont a parlé, je ne sais plus où. Chateaubriand. Ainsi, qu’elle s’étende ou se restreigne, il y a quelque chose d’exceptionnel dans la mélodie de la Messe en .

Le caractère en est particulier, comme la taille. Si parfois elle « part, » éclate tout de suite (attaque du Gloria), le plus souvent elle se prépare et se ménage d’abord. Au lieu de s’imposer d’un seul coup, c’est peu à peu qu’elle se propose. Elle a l’air de craindre, non pas certes la franchise, la netteté, mais la carrure et la symétrie. Elle n’est pas, ou du moins elle n’est plus autant que jadis une forme individuelle, isolée, et dont il semble qu’on pourrait en quelque sorte prendre la mesure exacte et faire tout le tour. Elle se présente à nous de biais plutôt que de face ; dans ce qui la précède ou ce qui la suit, il ne lui déplaît pas de demeurer parfois comme engagée à demi. Elle offre, cette mélodie, d’autres signes, et elle garde d’autres attaches