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de Tannhäuser préludent à la noble méditation : « Ueber allen Gipfeln ist Ruh (Sur toutes les cimes règne la paix). » Impossible d’entendre la prière aux « Cloches de Marling » sans se rappeler les admirables Rêves, esquisse du nocturne à deux voix qui forme comme le centre immobile du convulsif duo de Tristan. Quelques-uns de ces lieder sont d’un sentiment intime et profond ; d’autres, plus extérieurs, se rapprochent tantôt de la ballade allemande, tantôt de l’ancienne romance française, et de salon. Deux surtout ont ce dernier caractère, tous deux sur des paroles de Victor Hugo. Le premier, la fameuse « guitare » Comment, disaient-ils, sorte de fusée mélodique, jaillit, s’épanouit et meurt en un moment, en trois strophes, chacune de quelques mesures à peine, en notes détachées et crépitantes, en modulations rapides, où le rythme de la musique anime, allège encore celui de la poésie, où le parlando mélodique s’oppose et se concilie à la fois avec l’effusion chantante. La seconde pièce : Ah ! quand je dors, viens auprès de ma couche, porte, plus apparente, la marque d’un sentimentalisme un peu démodé, mais toujours sympathique, parce qu’d est chaleureux, sincère, et qu’il s’épanche en des strophes dont le mouvement est juste et le contour harmonieux.

Voici deux poétiques et pittoresques ballades : Loreley et Die drei Zigeuner (Les trois Bohémiens). Loreley est tout à fait dans l’esprit allemand : j’entends l’esprit d’une Allemagne ancienne, celle de Schubert et de Schumann, de Schubert surtout, rêveuse, ingénue, et qui s’en va. La composition de la pièce est excellente. Quelques phrases de prologue, d’un tour libre, annoncent le récit. Puis, à mesure qu’il raconte, le narrateur prend son temps, que dis-je ! tous les temps qu’il faut pour distinguer les divers épisodes, pour varier, sans brusquerie, le style et le ton. Par le calme, la majesté, le courant de la mélodie ressemble à celui du fleuve. Puis la figure est posée, aussi bien que le paysage est décrit. Des accens, des touches brillantes tombent sur ce corps de femme, sur la chevelure dorée que peigne un peigne d’or. Tout est fraîcheur et lumière, cantilène abondante et pure. Un seul instant, et très court, tout se trouble, puis de nouveau se calme, et le drame, à peine soupçonné, s’achève dans une dernière reprise du thème souriant et mystérieux.

C’est une ballade encore, mais très différente, que les Trois Tziganes. Liszt a dû l’aimer, celle-là, d’une tendresse particulière, filiale, ainsi que la figure et le symbole de sa race, de la race au moins qu’il regardait comme sienne, sans d’ailleurs y regarder de trop près, et confondant volontiers, liù. Hongrois, les Magyars et les