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banale seulement, et le passage s’opère avec naturel, mais avec noblesse, de l’adoration des bergers à l’adoration des rois.

Cette dernière scène est la plus belle : beauté pittoresque et décorative, beauté de sentiment et d’âme, aucune beauté ne lui manque. Nous voilà bien loin d’un autre cortège, plus modeste, mais que peut-être nous aimons encore davantage, de ce « train » familier, bon enfant, que mènent aussi les « trois grands rois » sur les chemins de notre Provence. Pour se croire et se dire « grands, » ceux-là, quelle suite ont-ils donc avec eux ?


Venaient d’abord
Des gardes du corps.
Des gens armés,
Avec trente petits pages.


Et vous savez quelle musique les accompagne : une marche populaire, à demi joyeuse par le rythme et, par le mode mineur, mélancolique à demi. Voilà tout. Mais pour notre génie, pour notre goût, latin et français, de la sobriété, de la discrétion, de la mesure, il suffit de ce peu de paroles et de ce peu de sons. La somptueuse imagination d’un Liszt a rêvé, réalisé de bien autres splendeurs. On dirait ici la marche non plus de trois rois, mais de trois royaumes ; c’est tout le contraire du vers fameux de Bérénice :


Dans l’Orient désert quel devint mon ennui !


car je ne sais rien d’amusant comme ce cortège, qui semble un défilé de tous les peuples, de toutes les foules de l’Orient. Exotique, le thème ne l’est pas avec moins d’esprit que de caractère. Si vous observez qu’il débute par les deux ou trois premières notes, rythmées différemment, de l’annonce des anges aux bergers, vous reconnaîtrez encore l’ingéniosité symphonique de Liszt à ce trait, peut-être même un peu trop ingénieux. Çà et là d’ailleurs un incident, un détail, fait penser au Beethoven de telle ou telle symphonie. De plus en plus, avec l’intensité, s’accroît la variété sonore. Sensible partout, le développement l’est jusque dans les timbres, dans le coloris instrumental qui s’enrichit et s’avive. Décidément, le défilé tourne à l’exode, en masse, de toute une humanité bariolée et grouillante. Et cela reste toujours amusant ; mais avec quelle grandeur et quelle magnificence ! Avec une puissance égale, voici maintenant de graves, de religieuses beautés. Voici l’épisode de l’étoile. « Et ecce stella quam viderant in Oriente antecedebat eos. » Il n’est que de lire cette brève épigraphe, puis d’en entendre aussitôt l’admirable, l’émouvante para-