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nous aurions lu, dans la collection des Maîtres de la musique, l’excellente biographie critique de M. Jean Chantavoine, alors nous pourrions nous flatter de connaître Liszt assez bien et de l’avoir honoré dignement.

Jusqu’à présent il faut en rabattre et nous contenter à moins de frais. Nous l’avons dit, l’exécution partielle de Christus au Conservatoire fut décevante. Elle n’eut pas les qualités maîtresses de l’œuvre exécutée : la couleur, la vie et la magnificence ; elle n’en sut point atténuer les défauts, qui sont la prolixité souvent et quelquefois le vide. Pourtant il semble bien que les beautés soient ici les plus fortes. Cette première partie de l’oratorio de Liszt a pour sujet et pour titre la Nuit de Noël. Elle se divise en cinq tableaux très développés, si ce n’est trop. L’introduction est fondée, et plus que fondée, construite, à plusieurs étages, sur la mélodie de l’Introït pour le quatrième dimanche de l’Avent. Ainsi, dès le début, se pose et se propose comme sujet musical un thème grégorien. Il détermine la couleur du morceau tout entier, et ce n’est pas là, pour l’époque, un signe médiocre de nouveauté, voire de hardiesse, que ce recours et cet hommage initial au style non seulement sacré, mais liturgique. Le thème bientôt circule et se répand. De religieux il devient pastoral. Une variante de rythme, de ton, de mode, le transforme, sans le détruire. À ce trait, comme à tant d’autres, épars dans les œuvres de Liszt, on reconnaît l’esprit symphonique, l’esprit de Beethoven, qui devait être celui de Wagner un jour, mais que Liszt, non moins que Wagner, adopta comme sien. Entre le caractère céleste et le sentiment champêtre, les deux premiers tableaux se partagent. Et cela est fort bien, des bergers ayant été d’abord avisés par les anges de la naissance du Sauveur.

Suit un long, trop long chœur a cappella, que bientôt, avec discrétion, l’orgue vient soutenir. Après le chant grégorien, la polyphonie palestrinienne : Liszt a voulu décidément, dès le début, honorer avec une dévotion particulière les deux formes par excellence de la musique de l’Église. Le texte de ce chœur est la délicieuse « prose » attribuée à Fra Jacopone de Todi, le « Stabat de la crèche. »


Stabat mater speciosa,
Juxtà fœnum gaudiosa,
Dum jacebat parvulus.


« Elle était debout, la mère gracieuse ; auprès de la paille elle se tenait joyeuse, tandis que gisait le petit enfant. » Comme la mère