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licence des mœurs, au mépris des traditions, que les Français ont amenés avec eux. Ils comptent qu’un roi de pure race, dont les étrangers n’environneraient pas le trône, qu’il soit l’Ham-Nghi captif en Algérie, où le Cuong Dê réfugié au Japon, rétablirait les anciens usages, supprimerait les gens de finance et de loi si durs au pauvre monde, les bàlon arrogantes et les interprètes vénaux. Et plus d’un regrette alors de n’avoir pas scrupuleusement exécuté, en 1885, les prescriptions de Tu-Duc : «… Si les Français ont pu venir jusqu’ici ; s’ils ont pu reconnaître nos routes, nos fleuves, nos montagnes, tout ce qui se passe dans notre royaume, c’est uniquement grâce aux chrétiens et à leurs prêtres. Par conséquent, si nous ne les tuons pas tous, nous ne parviendrons jamais à nous débarrasser des barbares d’Occident. Dès que nous commençons à bouger, les chrétiens préviennent les envahisseurs, et nous n’avons pas achevé nos préparatifs qu’ils arrivent pour nous détruire. C’est pourquoi tout le monde doit se mettre à l’œuvre et achever l’extermination des chrétiens. Si ce but est atteint, les Français seront réduits à l’immobilité complète, de même qu’un crabe à qui l’on a cassé toutes les pattes ne peut plus bouger. »

Dans l’Inde, les Musulmans ne sont pas, au point de vue de la race, plus homogènes que les Hindous ; mais ils sont unis par une croyance qui possède une extraordinaire puissance de liaison. Ils forment un bloc bien compact, que les Anglais ont eu l’art d’opposer comme une digue aux ambitions politiques des Hindous. Dans l’Indochine, l’unité ethnographique des Annamites est indiscutable ; mais la conversion à la religion catholique dresse en face de la masse dite bouddhiste un groupe dissident qui comprend aujourd’hui un dixième de la population. Comme religion, le bouddhisme indigène est inerte ; il n’est pas, comme l’hindouisme, un signe de ralliement religieux contre l’étranger ; mais tout Annamite quittant le bouddhisme se déclare implicitement partisan des Français dont il va partager la foi. La différence des mœurs et des institutions sociales rend ces conversions plus faciles que dans l’Inde. L’Annamite converti ne perd pas sa caste puisque, dans son pays, il n’y a d’autres distinctions de classes que celles qui résultent des fonctions officielles, obtenues en principe par des grades universitaires accessibles à tous. Il ne sera donc pas renié par sa famille ou ses amis ; le lien sentimental qui