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avait à vaincre, de par son sujet et de par la manière dont il entendait le renouveler. Il n’a pas joué la difficulté, mais il ne l’a pas fuie. Pour en triompher, il lui a fallu une rare sûreté de main. Il y a un danger à s’écarter du chemin battu, c’est le danger de s’en écarter trop. L’esprit nouveau n’est pas naturellement l’esprit de mesure, les réformateurs abondent volontiers dans leur sens et il ne manque pas d’exemples d’exagération dans les productions de l’école historique contemporaine. La peur de la littérature, la phobie de l’anecdote classique, le dédain du détail pittoresque, ont donné à certaines œuvres même destinées au grand public un aspect décourageant qui les a empêchées d’arriver à leur adresse. L’Histoire de France de M. Lavisse s’est gardée de cet excès. Elle est une tentative des plus neuves et en même temps des plus heureuses pour concilier la rigueur de la méthode historique avec le souci de la forme, pour faire aux questions économiques et sociales la part qu’elles méritent sans jeter le reste par-dessus bord, pour montrer l’enchaînement des faits et des causes sans tomber dans le travers de ceux qui tentent d’expliquer les causes sans raconter les faits. Il n’y a plus qu’à souhaiter, et c’est le vœu que chacun exprimera en fermant le dernier volume, qu’elle soit continuée jusqu’à nos jours, car rien ne serait plus précieux que d’avoir une Histoire de la Révolution et du XIXe siècle conçue dans le même esprit, offrant les mêmes garanties de savoir, de conscience professionnelle, de haute impartialité, d’indépendance à l’égard des idées toutes faites, écrite enfin de ce style dépouillé de toute rhétorique, dont la simplicité raffinée est chez M. Lavisse la forme suprême de l’art.


A. ALBERT-PETIT.