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sûr que la nation de Shakspeare lui jettera des couronnes, je voudrais que la première vînt de ta main.

« D’ici là je la serre de tout mon cœur d’ami d’enfance et de frères d’armes, toujours à toi. — Alfred de Vigny. »


La réponse de d’Orsay ne fut pas longue à venir et ses bons offices la précédèrent encore.


« Gore House, 5 feb. 1848.

« Mon cher ami, j’ai reçu tes deux charmantes lettres. Il nous suffit de savoir que Berlioz soit ton ami, pour qu’il soit bien reçu ici. Il est venu hier au soir, et j’ai eu le plaisir de le présenter à plusieurs personnes, dont j’avais macadémisé (sic) l’esprit en sa faveur, à l’aide de ta poétique description de son supérieur talent. Je me suis retrouvé en pays de connaissance avec lui, car il est aussi ami d’Eugène Süe, de Liszt et enfin de tous les bergers de notre époque, car la société ne se compose que de ces derniers, et des innombrables moutons.

« Il y a bien longtemps que tu nous avais négligés, pourtant nous parlons souvent de toi. Lady Blessington faisait lire dernièrement à ses nièces de tes charmans ouvrages, et s’il y avait un télégraphe magnétique tout aussi bien que l’électrique, tu aurais été bien aise de sentir combien tu es apprécié à Gore House.

« Envoie-nous toujours tes amis, ils seront les nôtres à l’instant et n’oublie jamais que je suis et serai toujours ton ami affectionné, D’Orsay. »


Pour apprécier tout ce qu’il y a de générosité de cœur dans ce billet, il faut se rappeler qu’au moment où il fut écrit, la ruine de d’Orsay et de lady Blessington était à demi consommée : une année après, on mettait à l’encan le mobilier luxueux et toutes les richesses d’art de Gore House.

Le concert eut lieu à la date indiquée. L’Athenæum, où écrivait Chorley, critique musical de tendances réactionnaires, mais grand ami de lady Blessington et du comte d’Orsay, et ami de Vigny lui-même, en rendit compte avec une faveur qu’un mois auparavant personne n’aurait pu prévoir. Il insistait sur l’extrême attention que le public anglais avait prêtée à cette sélection des ouvrages de Berlioz « malgré la longueur du