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surtout, je ne les ai pas vues encore. Mais le ravissement qu’on en a me plaît d’avance. N’as-tu pas fait ton portrait ? J’ai peur que tu n’aies craint de te flatter. Il me tarde de voir si l’on œil est un miroir fidèle. Tu es surprenant. On dirait que tu n’as qu’à te lever de ton fauteuil, tirer la sonnette et il te vient un talent tout formé, qui t’appartient et se met à sculpter et à peindre.

« A présent, cher ami, que j’ai causé avec toi, tu n’éprouveras pas trop de saisissement en voyant entrer Hector Berlioz avec une autre lettre qui te prie comme celle-ci de le recevoir avec les grâces habituelles. »

Dans cette première lettre, tout le passage sur la vie intime de Berlioz depuis : « Il est homme de cœur et d’esprit » jusqu’à « ne lui parle pas d’elle provisoirement, » a été biffé par Vigny sur son brouillon : ces lignes furent sans doute supprimées ou modifiées, après réflexion.

La seconde lettre, datée du 1er février sur la minute autographe, arriva tout ouverte à Berlioz, qui, nous le verrons par sa réponse, fut très fier de la remettre et ne l’aurait pas été moins de pouvoir la garder : elle dut circuler à Londres.

« Je te prie, mon ami, d’accueillir en mon nom, avec ta grâce accoutumée, M. Hector Berlioz dont la célébrité européenne et le génie musical ne sauraient t’être inconnus. Il va faire lui-même en Angleterre la propagande de cette belle et innocente Révolution dans l’art qu’il a accomplie en France. Je souhaite fort pour l’Angleterre, ma belle-mère, qu’elle sache apprécier comme nous l’avons fait ici cette puissante originalité et ces magnifiques créations. Je voudrais être assis entre toi et lady Blessington lorsque vous entendrez ces grandes œuvres, souvent comparées à celles de Beethoven et de Mozart. Ce ne sera pas à toi, cher Alfred, toujours si Français partout où tu es, que je ferai l’injure d’apprendre les noms de ces compositions magiques de Berlioz. Je sais d’avance le prix que tu attacheras à la conversation d’un homme d’un si rare esprit dont tu as dû lire souvent les savantes et vives critiques dans le Journal des Débats.

« Je te prie de mener, aux fêtes musicales qu’il donnera, toute la cour de jeunes lords qui vient à Gore House. Vous serez heureux et ravis par tant de force et de grâce. La muse de Berlioz est une blonde fille du Nord comme Ophélia. Je suis