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demander. Adieu, adieu, pardon de mon verbiage. Mille amitiés admiratives. Votre tout dévoué. H. BERLIOZ. »


Alfred de Vigny devait être absent de Paris, quand la lettre de Berlioz y arriva. Le brouillon de la lettre écrite par lui au comte d’Orsay porte la date tardive du 30 janvier 1848. Pour avoir été retardée, la recommandation se fit sans doute plus pressante ; elle le fut au plus haut point, tout en restant insinuante et agréable.

« Je veux te prévenir, mon ami, de la visite que tu vas recevoir de notre célèbre compositeur Hector Berlioz. Il vient de me demander une lettre pour toi, je la lui enverrai demain, il te la remettra. Aujourd’hui je veux te parler d’avance de son rare et sérieux mérite et te mettre au courant de sa personne. « Il est homme de cœur et d’esprit, en voici la preuve en un fait. Il y a environ douze ans que, voyant jouer Shakspeare par miss Smithson, il devient amoureux fou de cette belle et habile personne. Il lui offre son cœur orné d’une chaumière, elle refuse étant alors au milieu de sa gloire d’un moment. Il se retire silencieusement. Quelque temps après, elle se casse la jambe ; la voilà par terre, sans théâtre, sans argent au milieu de Paris. Berlioz revient, la demande et l’épouse. A présent, je ne sais où elle est ni où est leur amour ; ne lui parle pas d’elle provisoirement.

« Ce beau et réel talent de compositeur semble surtout, en musique, ce qu’est celui d’un sombre paysagiste, en peinture. En l’écoutant, je songe toujours involontairement au Déluge du Poussin. Son Requiem, la Marche au Supplice, le Rêve de la reine Mab, de Roméo, la Marche des Pèlerins sont des chefs-d’œuvre.

« Peut-être les connais-tu ; je ne pense pas cependant que tu les aies entendus bien exécutés. Il peint par les notes, il fait voir ce qu’il décrit ; on suit des yeux, cela est certain, la folle Mab galopant dans le cerveau d’un page et dans celui d’un magistrat.

« Je t’enverrai donc Berlioz, cher ami, et tu me feras plaisir de le présenter à lady Blessington. Je désire que Sa gracieuse Majesté le reçoive bien à Gore House. Mme la duchesse de Grammont m’a dit hier que l’on allait graver quelques-unes de tes statuettes. On m’en a dit des merveilles, de ton Napoléon