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empanaché, fanfaron, italo-gascon, c’est vrai ! Tenez, moquez-vous de moi ; mais j’en ai rêvé cette nuit et je me sens le cœur serré d’avoir entendu cette scène I et j’ai hâte pourtant de la réentendre demain. »

Alfred de Vigny n’assista pas, le 10 septembre 1838, au scandale de la première de Benvenuto Cellini. Il avait quitté Paris pour se rendre au Maine-Giraud. Il s’était arrêté en route chez des cousins de Touraine. Il n’allait pas tarder à partir pour l’Angleterre où il séjourna, comme chacun sait, une demi-année. Il souffrit, on peut le penser, du méprisant et ridicule accueil où se heurta l’ouvrage de son ami, lui qui, faisant, à ce moment même, un retour sur son propre destin, laissait tomber cette réflexion découragée, également applicable aux écrivains et aux artistes : « Les lettres ont cela de fatal, que la position n’y est jamais conquise définitivement. Le nom est, à chaque œuvre, remis en loterie et tiré au sort pôle-môle avec les plus indignes. Chaque œuvre nouvelle est presque comme un début. »


III

C’est à Londres qu’Alfred de Vigny apprit par les journaux le coup de théâtre du concert du 46 décembre : Paganini, entraînant Berlioz sur la scène, pendant que le public commençait à se retirer, et s’agenouillant devant le compositeur aux applaudissemens frénétiques des amis restés dans la salle. Deux jours après, le virtuose italien adressait à Berlioz un don de vingt mille francs, en y joignant le compliment fameux : « Beethoven mort, il n’y avait que Berlioz qui pût le faire revivre, etc. »

Alfred de Vigny n’était pas encore de retour, lorsque M. de Gasparin, redevenu ministre pour peu de temps, mit à profit ce très court passage au pouvoir pour décorer l’auteur du Requiem. Mais le poète était à Paris, dès le début de juillet 1839, et il s’y trouvait encore en septembre, au moment où Berlioz pouvait écrire à Georges Kastner que Roméo et Juliette, une Symphonie dramatique avec chœurs, solos de chant et récitatif harmonique, composée d’après la tragédie de Shakspeare, était entièrement achevée. « J’ai fini tout à fait la symphonie ; fini, très fini, ce qui s’appelle fini. Pas une note à écrire. Amen,