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annulait le projet de cérémonie funèbre aux Invalides et faisait disparaître, avant l’heure, le Requiem de Berlioz.

Les protecteurs du musicien, Bertin en tête, protestèrent vigoureusement, et le nouveau ministre de l’Instruction publique, M. de Salvandy, ancien rédacteur, lui aussi, du Journal des Débats, ami d’Alfred de Vigny, cherchait quelque compensation pour le compositeur frustré, quand la prise de Constantine (14 octobre 1837) et la mort du général Damrémont fourniront deux raisons de revenir à l’idée d’une fête funèbre et de rendre à Berlioz, non seulement l’occasion, mais les moyens de se produire. La cérémonie eut lieu le 5 décembre 1837. Alfred de Vigny ne manqua pas d’y assister. Au retour de cette audition, il traça quelques lignes où ses impressions sont résumées : « Ce matin, la messe funèbre pour l’enterrement du général Damrémont. L’aspect de l’église était beau ; au fond, sous la coupole, trois longs rayons tombaient sur le catafalque préparé et faisaient resplendir les lustres de cristal d’une singulière lumière. — Tous les drapeaux pris sur l’ennemi étaient rangés en haut de l’église et pendaient, tout percés de balles. La musique était belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse… »

Vigny s’imaginait sans doute, avec Berlioz, que l’audition solennelle du Requiem était un acheminement direct au succès de Benvenuto Cellini. Mais, pendant qu’on répétait son opéra, le compositeur sembla prendre à tâche d’augmenter le nombre de ses envieux et de ses ennemis en briguant la direction du Théâtre-Italien. Présentée par M. de Montalivet, ministre de l’Intérieur, sa candidature échoua devant la Commission parlementaire chargée d’examiner la proposition du gouvernement, et le ministre s’étant, en fin de compte, rallié au sentiment de la Commission, Berlioz eut contre lui la très grande majorité des votes à la Chambre.

Je ne dirai rien de ces répétitions qui furent vraiment cruelles. Elles auraient eu raison de la santé, de l’énergie, et des ressources de tout ordre du malheureux musicien, si son ami Ernest Legouvé n’était généreusement venu à son aide.

Quant à l’histoire même de l’échec, elle a été souvent écrite. Ce qu’il y eut, dans cette défaite, d’injuste, d’odieux et d’irréparable, n’a jamais été plus vivement mis en lumière que dans une étude récente de M. Pierre Lalo sur cet opéra de