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fantastiques. J’étais enivré. » Celui qui parle de la sorte avait, ce soir-là, entrevu un large drame musical en deux ou trois parties, La prise de Troie, Les Troyens à Carthage, peut-être Les Troyens en Italie[1]. Brizeux, non moins épris de Virgile que Berlioz, ouvrit bien vite au musicien son carnet de poète.

Instruit par Barbier et Brizeux, Alfred de Vigny ne pouvait rien ignorer de ce qu’on répétait partout sur la nature originale du jeune compositeur, sur sa légende romanesque ; il approuvait certainement ses hautes ambitions ; il avait sans doute entendu, applaudi quelque récente exécution de ses ouvrages.

Les débuts du musicien remontaient à 1825. Dès sa seconde année d’études, ses maîtres, Lesueur surtout, dont il était l’élève particulier depuis 4823, avaient apprécié ses aptitudes. La Messe solennelle, écrite à vingt et un ans et deux fois exécutée, en 1825 à Saint-Roch, en 1827 à Saint-Eustache, ne l’avait pas révélé au public. Son concert du 26 mai 1828, dans la salle de l’École royale de musique, tout en signalant à l’attention de deux ou trois compositeurs son « talent prématuré, » ses étranges dispositions, et, pour employer l’expression d’un d’entre eux, « son génie, » n’avait provoqué qu’étonnement, qu’irritation chez beaucoup d’autres.

Un peu avant les premiers jours d’automne de 1827, Berlioz assista, comme Vigny, comme Dumas, comme tant de jeunes Français qui découvraient Shakspeare, aux représentations des tragédiens anglais, et il se prit d’une passion ardente pour miss Smithson. Cet amour pour « Ophélie » eut pour premier effet de « centupler » ses moyens : il se produisit comme une poussée d’invention dont témoignèrent surtout la Symphonie descriptive et Huit scènes de Faust, d’après la traduction de Gérard de Nerval. Mais, l’actrice partie, le désespoir envahit l’âme du jeune musicien. Les souffrances de l’amoureux s’irritaient encore, des déceptions qui commençaient à être le lot du compositeur. Sous l’influence d’un pessimisme exaspéré, l’auteur de la Symphonie descriptive, écrite dans une heure d’allégresse, transformait cette œuvre et la faisait aboutir aux effets, qu’il jugeait « effrayans, » de la Symphonie fantastique.

  1. Il n’est pas sans intérêt de le remarquer, Béatrice et Bénédict, mis au jour en 1862, est, comme Roméo et Juliette, la réalisation d’une pensée de la jeunesse, et la Damnation de Faust ne fut, en 1846, que le remaniement, la continuation des Huit scènes de Faust, écrites à vingt-six ans.