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vénal. Tous les plaisirs, toutes les sources de plaisir sont énumérés sans distinction aucune. Quant à Milton, il fut artiste presque malgré lui, et ses préoccupations de parti percent dans la plupart de ses œuvres. Il était nettement puritain, surtout en matière de morale. Contrairement aux idées généralement reçues, il soutenait que l’impudicité est plus grave chez l’homme que chez la femme, et n’aima jamais avant son mariage. Il se maria d’ailleurs trois fois, et rendit au moins deux de ses femmes très malheureuses. Comme tous les puritains, il méprisait et craignait les femmes, ainsi que le témoigne sa conduite envers ses filles. Aveugle, il se servit d’elles comme de secrétaires et de lectrices, leur apprenant à lui lire le grec et l’hébreu, mais non à comprendre ces langues. Lorsqu’elles se plaignirent, il répondit rudement « qu’une langue suffit bien à une femme. » Quant à ses œuvres, elles respirent ses sentimens puritains, et à ne considérer que le Paradis perdu, nous y trouvons Adam et Eve travestis en respectable ménage, vertueux, pudibond et ennuyeux !


V

Une objection se présente : si le puritanisme est un fait aussi général en Angleterre, que devient-il à la cour de Charles II par exemple, et déjà auparavant à l’époque de la Renaissance ?

C’est qu’ici, comme partout, il y a des exceptions. La nation anglaise est puritaine, mais tous les Anglais ne sont pas puritains. Il n’y a pas trace de puritanisme dans Shakspeare ; il est vrai que Shakspeare était un génie et que le génie ne saurait se renfermer dans les limites d’une secte. Il n’y a guère de puritanisme chez la plupart des écrivains de la Renaissance en Angleterre : la culture antique, le commerce avec l’étranger, leur a ouvert l’esprit et élargi les idées, si bien que, par horreur de l’étroitesse de leurs compatriotes, ils vont souvent par réaction à l’extrême opposé. La Restauration est une réaction, et une réaction très violente, contre le puritanisme. Le fanatisme, la tyrannie religieuse avaient, par leurs exagérations, dégoûté de la morale. Pour faire oublier le puritanisme, on se jeta dans l’orgie et la débauche. Mais si la nation presque tout entière a soupiré d’aise en se sentant délivrée du joug puritain, ce n’est