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préoccupations morales et religieuses d’une part, avec cela, une certaine brutalité, un tempérament froid, l’absence de besoins esthétiques, ces traits constituent déjà le fond du caractère chez les Saxons et sont toujours restés depuis dans le caractère anglais. Le goût du plaisir fait à peu près défaut ; sauf, par réaction ou par imitation, à certaines époques précises de l’histoire de l’Angleterre. La guerre et la table, c’est-à-dire les excitations violentes et les jouissances matérielles sans aucun caractère intellectuel ni esthétique, ont été au moyen âge les délassemens préférés du peuple. Si la cour connaît les fêtes brillantes, c’est qu’elle les a importées de France ; les Normands ont introduit les tournois, les mœurs chevaleresques ; mais la vie des Saxons reste sombre et pénible. Les doux plaisirs ne sont pas pour eux, ils sont pour l’étranger victorieux. Le pays est pauvre, le climat triste, les Saxons sont en lutte avec les Normands, le peuple avec les seigneurs, les seigneurs avec le Roi. De sorte que lorsque enfin l’union se fait, que Saxons et Normands oublient leurs différends pour former la nation anglaise, le caractère farouche et sérieux demeure dominant. La cour s’amuse, à l’imitation des cours étrangères ; mais l’Anglais, d’origine saxonne surtout, ne sait pas s’amuser. Selon le mot attribué à Froissart, « les Angloys s’amusent moult tristement[1]. »

Cela était déjà vrai au moyen âge, comme le prouve encore le vieux dicton angliça gens, optima flens, pessima ridens, et l’est devenu davantage après la Réforme, qui a sans doute dû son rapide succès en Angleterre à ce trait du caractère national. La foi intérieure, l’examen personnel, la révolte du bon sens contre les miracles trop merveilleux, et surtout le sentiment du sérieux de la vie, l’horreur de tout ce qui est simplement beau et agréable, c’est-à-dire inutile et frivole, voilà ce que nous trouvons alors. Issu des tendances profondes de la race, le protestantisme se développe rapidement, s’exagère, s’exacerbe, et devient puritanisme. Presque en même temps, l’influence de la Renaissance se fait sentir ; mais la Renaissance ne pousse pas en Angleterre des racines aussi profondes que le protestantisme, auquel elle s’oppose plutôt. Le paganisme, la sagesse antique,

  1. Ce mot n’est pas dans Froissart, quoique, très fréquemment cité, il lui soit toujours attribué. On le retrouve dans Classical and Foreign Quotations, par Francis H. King M. A. ; l’origine n’a pu en être découverte.