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du plaisir en tant que plaisir, et il se fonde logiquement sur la théologie protestante. Mais la psychologie contemporaine enseigne que l’explication logique d’un fait ne suffit pas, qu’elle peut provenir de la tendance de l’homme à se donner de toutes choses une raison intellectuelle, et qu’il ne faut pas exagérer ce besoin d’intelligibilité. Au-delà de l’explication logique qui satisfait notre raison, et qui a longtemps paru suffisante aux psychologues rationalistes et idéologues, la science nous apprend qu’il faut chercher autre chose ; car la cause véritable, ce qui détermine le système philosophique ou l’attitude morale, c’est toujours en dernière analyse un état physiologique. Il est possible que l’idée à son tour réagisse sur le corps, que la théologie puritaine crée en partie sa morale, mais la première n’existerait pas sans une cause physiologique profonde. Il est vrai que l’on voit généralement une morale survivre aux doctrines philosophiques ou religieuses qui la fondent logiquement, témoin la morale chrétienne qui persiste chez Kant et la transposition de certains élémens catholiques dans le système d’Auguste Comte. C’est que la morale étant, quoi qu’on en dise, affaire de sensibilité et d’instinct plutôt que de raison, les croyances peuvent changer sans modifier nécessairement les habitudes d’action, surtout lorsque celles-ci sont essentiellement sympathiques au caractère de la race. Il semble qu’il en soit ainsi pour l’Angleterre : c’est à peine un paradoxe de dire qu’elle était puritaine avant d’être protestante.

Certes, avant la Réforme l’hédonéphobie n’est pas encore une doctrine, mais c’est déjà une tendance profonde de la race qui n’attend que l’occasion pour se formuler en théorie. Cette occasion se présentera avec l’éclosion du protestantisme, qui fleurira rapidement sur ce sol approprié. Si, comme le dit Taine, la tristesse des Saxons et de leur climat les préparait au christianisme, elle les prédisposait encore mieux au protestantisme et surtout au puritanisme. Malgré la conquête de l’Angleterre par les Normands, et l’introduction de la langue et de la civilisation françaises, le peuple est toujours resté profondément Saxon, d’abord parce que les Normands constituaient une infime minorité qui ne forma guère que l’aristocratie du pays conquis, ensuite parce qu’ils avaient au fond la même origine germanique ou plutôt Scandinave que les Saxons, de sorte que l’union s’est faite assez vite. Indépendance, énergie,