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forcément mauvais ; tout ce qui plaît à cet être corrompu doit donc être condamnable. Il faut le dépouiller de tous ses instincts ; il faut se méfier même des tendances qui peuvent sembler bonnes, ce sont des leurres, des pièges du démon. La beauté plaît à l’homme, elle est donc mauvaise, et il faut la fuir partout et toujours, qu’elle s’incarne dans la femme ou dans les monumens de l’architecture religieuse. Fuyons donc l’amour et détruisons les œuvres d’art. Ce qui plaît à l’homme ne saurait plaire à Dieu ; les belles églises, les belles cérémonies religieuses, tout cela vient de Satan. Car celui-ci joue un très grand rôle dans cette religion toute de terreur et d’effroi. Ce n’est pas l’amour de Dieu qui rend pieux l’être dégradé qu’est l’homme, c’est bien plutôt la peur du diable. Aussi le puritanisme n’a-t-il rien du caractère tendre et consolateur du catholicisme. Ce n’est pas l’espoir du ciel qui inspire ces sectateurs farouches, c’est la crainte de l’enfer. Un Anglais, homme d’esprit, disait que la principale différence entre l’Eglise catholique et l’Eglise anglicane consistait en ce que celle-là dit : « Venez et soyez sauvés, » tandis que celle-ci s’écrie : » Allez-vous faire damner. » C’est des puritains surtout que cela est vrai, et à nul mieux qu’à eux ne convient le mot dont Stace caractérise la religion des hommes primitifs :


Primun in orbe deos fecit timor.


L’homme doit trembler devant Dieu, — un Dieu plus juste que charitable, plus terrible que bon. Et surtout, il doit se méfier de tout, de lui-même et d’autrui, de la vie et de ce qui la rend belle et agréable. Car l’esprit du mal veille partout et toujours, en nous et autour de nous, et se sert de tous les moyens pour entraîner l’homme à sa perte. Les jouissances intellectuelles mêmes viennent du démon ; c’est l’orgueil de l’homme qui le pousse à la recherche de la vérité, c’est sa sensualité qui lui fait créer des œuvres de beauté. Les joies du cœur lui sont même interdites : l’amitié, les affections de famille lui sont naturelles, partant dangereuses, puisque tout en lui est irrémédiablement mauvais. Qu’il prenne donc garde à trouver du plaisir en quoi que ce soit, même en ses bonnes actions, même en ses exercices religieux. Être vertueux avec joie, pour les puritains, ce n’est pas être vertueux, puisque c’est l’être naturellement. « S’il n’y avait pas de difficulté à