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800 REVUE DES DEUX MONDES. Prince-Fidèle. — Ce qu’il faut faire, ô ma souveraine bien- aimée, il faut s’enfuir et vivre !... L’Impératrice, avec violence. — Ah! non!... Tout ce que vous me demanderez,... mais lâchement prendre la fuite, non! Lumière-Voilée. — S’enfuir, hélas! oui... Echapper à l’en- nemi, lui enlever l’enjeu de la guerre... Et ainsi, la partie qu’il gagne ne lui fait rien gagner; la victoire n’est plus la victoire ; bientôt le sang de nos héros enivre d’autres héros ; une nouvelle armée se groupe autour de la Fille du Ciel, et la guerre recom- mence. L’Impératrice. — Et le sang coule encore... Et la Terre dé- sertée peuple le royaume des Ombres... Non, assez de morts... J’ai peur, à la fin, peur d’être une souveraine meurtrière et fatale... Tout ce sang, tout ce sang versé pour moi, il me semble que j’ai les mains rouges... Prince-Fidèle. — Il est inépuisable, le sang de vos sujets,... et leur dévouement est sans limite... L’Impératrice, tout (( coup très douce, et comme implorant. — Mais mon courage est à bout... (Desigtiant les soldats, qui entassent toujours le bois du bûcher.) Prince, j’aimerais mourir avec ceux-ci... Prince-Fidèle. — Vivez, pour que leur mort ne soit point stérile... Vivez pour ramener notre jeune Empereur, que l’armée du Sud nous garde; vivez pour nous tous et pour lui,.. L’Impératrice. — Mon fils!... Ah! ne prononcez pas ce nom-là... Pour m’entraîner, n’essayez pas de faire jouer cette corde, c’est la seule que je vous défends de toucher. A l’ins- tant précis où vous me l’avez arraché, j’ai eu la certitude que je ne reverrais jamais, jamais le cher petit visage, jamais les chers yeux... Je trouve la force de tout entendre, excepté si l’on me parle de lui,... car, alors, voyez- vous, je redeviens une mère, rien qu’une mère, comme les autres femmes,... et je ne peux plus, je ne peux plus... (Elle détourne la tête, et sa phrase finit par des sanglots.) Oh! ne pas s’appartenir, ne pouvoir même pas laisser sur le chemin le fardeau de sa vie!... Être l’idole impersonnelle, dont tout un peuple dispose à son gré; être le triste fétiche que chacun veille des yeux comme les tablettes, de ses ancêtres sur l’autel familial!... Prince-Fidèle. — Vous êtes la bannière étincelante, la déesse toujours radieuse, vers qui nous tournons les yeux dans /