Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/786

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
780
REVUE DES DEUX MONDES.

Du moins il lui reste la gloire d’avoir, le premier, engagé la bataille.

Dans son premier voyage, il vient de quitter Paris et traverse La Charité-sur-Loire. Il découvre de magnifiques sculptures au fond de l’échoppe d’un serrurier adossée au mur de l’église. Il voit des moulures entaillées pour le passage d’un escalier, des fagots entassés devant un bas-relief. Une des statues a été décapitée, la cassure est toute fraîche. Il interroge, et voici ce qu’il apprend : « Il y a un mois, un soldat, c’était je crois, un chasseur d’Afrique, fut logé chez un des serruriers. On le coucha dans l’intérieur de l’une des portes, en haut d’un cintre. Le fond de cette étrange alcôve était un bas-relief représentant le Père Éternel assis sur les nuages, entouré de ses anges et de ses saints. Peu sensible à cette décoration, le soldat ne pensa qu’au mauvais grabat de son hôte et aux punaises qui le tourmentèrent la nuit. Le matin, faisant son bagage, il avisa le bas-relief, et s’adressant au Père Éternel : « C’est toi, dit-il, qui as inventé les punaises ; voilà pour te remercier ! » Un coup de bâton, qui cassa la tête de la statue, termina la prosopopée. »

Il en apprendra bien d’autres, car le vandalisme le plus dangereux n’est pas celui de la brute qui mutile une statue par ignorance.

Le clergé se charge de défigurer ses propres églises. C’est lui qui peint à l’huile les boiseries et les stalles de la Renaissance, et recouvre murailles et chapiteaux d’un horrible badigeon blanc, sans doute, dit Mérimée, d’après le principe du médecin de M. de Pourceaugnac : Album est disgregativum visùs. Et c’est lui aussi qui introduit dans les églises d’ignobles statues en désaccord avec tout le reste de l’édifice. Aussi quelle satisfaction de rencontrer un brave homme de curé, attentif à réparer son église, l’entretenir et la préserver des restaurations maladroites ! Tel le curé de Saint-Maximin. Le conseil municipal avait décidé que l’église serait badigeonnée. Le curé avait protesté. Sans tenir compte de son opposition, les badigeonneurs s’étaient présentés au jour fixé, mais avaient trouvé la porte fermée. Point de clef ; et le curé n’était pas chez lui. Les badigeonneurs résolurent alors d’attendre le dimanche, de pénétrer dans l’église pendant la messe et de se mettre à l’ouvrage après le service. Le curé eut vent de la ruse, et, persuadé qu’il valait mieux pour