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ne s’était avisé de considérer l’art du moyen âge comme digne d’attention et d’estime. Ces productions « gothiques » faisaient l’objet d’un mépris universel. Seul, le collectionneur Gaignières avait eu l’idée d’en réunir et d’en conserver les images. Seul, l’abbé Lebœuf dans son Histoire du diocèse de Paris avait tenté d’en distinguer les époques et les styles. Des architectes comme Boffrand et comme Blondel s’étaient montrés sensibles à la beauté des constructions ogivales. Mais nul n’admettait qu’il eût existé un art de la statuaire avant la Renaissance. On démolissait donc, on altérait les édifices du moyen âge sans remords, sans scrupules.

La Révolution fut le signal d’un terrible vandalisme. Mais, antithèse assez déconcertante, c’est au temps de la Révolution qu’apparaît pour la première fois un sentiment inconnu des siècles précédens, le respect des monumens du passé, de tout le passé de la France. Les Jacobins décrètent « la destruction des monumens susceptibles de rappeler la féodalité et l’anéantissement de tout ce qui était propre à faire revivre le souvenir du despotisme ; » mais, en même temps, ils prescrivent les mesures nécessaires à « la conservation des objets pouvant essentiellement intéresser les arts. » Les révolutionnaires saccagent les tombeaux des rois et achèvent de briser, aux portiques des cathédrales, les sculptures qu’avaient épargnées la fureur des guerres religieuses et les restaurations de l’âge académique ; mais, secondé par David et Grégoire, Lenoir offre un asile aux chefs-d’œuvre de tous les siècles et de tous les styles, dans son musée des Monumens français.

Après la Révolution, les désastres causés par les iconoclastes et les pillards, ceux plus graves encore causés par les acquéreurs de biens nationaux, puis la dévastation de tous les grands domaines de France par la bande noire soulèvent l’indignation des artistes, des poètes et des historiens. Chateaubriand avait, le premier, célébré les magnificences de l’art chrétien. Taylor et Nodier parcourent la France et en recensent les richesses. Montalembert adolescent publie, en 1829, Du catholicisme et du vandalisme dans l’art. Victor Hugo écrit, en 1823, son ode admirable La Bande noire, puis compose Notre-Dame de Paris, qui est moins un roman qu’un plaidoyer pour l’architecture du moyen âge, et enfin lance, en 1832, une furieuse diatribe contre les vandales, qui se termine par ces ligues : « On fait des lois sur