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de l’ordre des faits dans celui des idées. C’est encore l’émotion progressive, le trouble grandissant chez un homme à qui peu à peu se découvre la vérité, mais cette fois la vérité de sa propre conscience. La notation psychologique y est d’une grande finesse. Au début de l’acte, nous voyons le tribun, avec les fortes têtes de son groupe, préparer son grand discours de la prochaine séance et se livrer à la petite cuisine des interruptions combinées d’accord avec des compères pour amener des répliques foudroyantes et des improvisations apprises par cœur. Il est toujours « le tribun. » Il devait l’être en effet quelque temps encore ; le revirement ne se produit pas tout d’un coup : on se surprend d’abord à faire les mêmes gestes, à dire les mêmes mots que par le passé. On « continue. » Il faut un peu de temps pour s’apercevoir que ces gestes et que ces mots ne correspondent plus à aucune réalité intérieure. Peu à peu l’abîme se creuse et nous sentons s’écrouler en nous l’édifice auquel la base vient de manquer. Ainsi chez Portal : son esprit travaille sur la conduite qu’il vient de tenir. Homme public, qui vient de découvrir un criminel contre l’État et qui allait le livrer à la justice, il ne l’a pas livré, parce que ce criminel est son fils. C’est donc qu’entre le père et le fils il y a un lien irréductible : ce lien, créé par la nature, consacré par la société, est le lien de famille. La famille n’est pas seulement une création artificielle de la société, elle est l’organisation d’un fait naturel. La détruire, la ruiner, la miner, c’est aller contre la nature, et commettre un crime. Lorsque le tribun s’en rend enfin compte, mais alors seulement, la pièce est terminée. La toile tombe sur cette parole d’une austère beauté : « C’est notre honneur à nous autres, hommes d’idées, que, lorsque nous apparaît la fausseté des idées auxquelles nous avions cru, nous n’hésitons pas à en changer. » Voilà bien cette fois le dénouement, le seul que comportât cette tragédie psychologique, le seul qui pût résoudre cette crise de conscience en trois actes.

Comme toutes les œuvres chargées de pensée et empruntées directement aux préoccupations du moment, le Tribun a été en proie aux polémiques. Parmi les objections qu’il a soulevées, signalons-en au moins quelques-unes. « Est-ce bien là un plaidoyer pour la famille ? a dit quelqu’un. La soudaine et violente émotion qui s’empare de Portal n’est chez lui que l’écho de la fameuse et un peu désuète « voix du sang. » Cette voix du sang qui nous est connue par des tas de mélodrames, pièces généralement dépourvues de tout contenu psychologique, il l’aurait pareillement entendue, si Georges eût été