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sûre, eut une minute de perplexité. Pendant le pointage auquel donna lieu le deuxième scrutin, un de ses collègues du Cabinet l’exhorta : « Vous pouviez hésiter tant qu’il était douteux que la représentation proportionnelle trouvât ici une majorité ; mais la majorité y est, elle n’est pas à faire, elle est faite : il n’y a qu’à la ramasser. Marchons ! » Mais d’autres, les plus marquans et les plus agités du parti radical et radical-socialiste, rejoignirent, à cette minute même, assaillirent le président du Conseil : « Vous allez tout de suite monter à la tribune et déclarer que vous ne voulez, à aucun prix, d’aucune réforme applicable aux élections prochaines, ou nous vous renversons incontinent. » Et M. Briand, qui « n’avait pas à tenir compte des sommations » des partisans de la représentation proportionnelle, probablement parce qu’ils ne lui en faisaient pas, tint aussitôt compte de celle-ci, qui lui était faite en plein visage. Il monta tout de suite à la tribune, comme on l’en sommait, et, comme on l’en sommait, posa la question de confiance contre la réforme électorale. Une soixantaine de « toupies hollandaises » tournèrent, qui pour sauver le ministère et qui pour se sauver soi-même. Songez donc ! « Le gouvernement persiste à penser que le vote immédiat de la réforme créerait une situation grave et dangereuse pour le parti républicain. La pratique de la représentation proportionnelle veut des partis organisés : or, le moins préparé, le moins organisé (M. Briand, le 28 octobre, avait dit : le plus effiloché), est le parti qui avait depuis dix ans bénéficié de la confiance croissante du pays, c’est-à-dire la majorité républicaine. » À cette heure, elle ne pourrait « tirer tout le parti désirable de la réforme. » Pourtant, c’est pour elle et par elle que la réforme, quand elle sera prête, devra se faire. « Ce sera le devoir de la majorité républicaine, ce sera son honneur de se saisir de ce problème. » Mais seulement, quand « le parti républicain » sera prêt, pas maintenant. Maintenant, ce n’était pas encore le devoir et l’honneur, ce serait une faute : « Nous n’avons pas le temps ; non, non et non ! » Cette intervention chirurgicale coupa le pied à la réforme, qui ne recueillit plus que les voix de 225 héros. A l’issue de la séance, je rencontrai, entre deux portes, le président du Conseil, tiré d’affaire, mais peu glorieux. Je ne lui fis, comme on le soupçonne, qu’un assez aigre compliment. « Voyons ! voyons ! patience ! me dit-il ; puisque je vous garantis que la réforme se fera, et que c’est moi qui la ferai ! »