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exceptionnelle, et qui éveille en leur faveur, dans la partie du public la plus intelligente, un intérêt tout spécial, une curiosité réfléchie et émue. On sent que ce n’est pas ici un pur jeu. Le drame imaginaire auquel l’auteur nous fait assister est le reflet, ou, mieux encore, l’émanation d’un autre drame réel, trop réel, où nous sommes engagés de toute notre personne et d’où dépend notre avenir. La fiction baigne dans cette réalité palpable, tangible, qui nous enveloppe de toutes parts. Nous avons l’impression que par-delà l’aventure particulière des héros d’un soir, c’est nous-mêmes et c’est nous tous dont on agite les intérêts et dont le sort est en question. Ajoutez que, contrairement à l’usage du théâtre qui chez nous prend presque toujours le parti de l’individu contre la collectivité et se range volontiers contre l’ordre établi du côté de ceux qui veulent s’en affranchir, les pièces de M. Bourget inclinent à la défense de la tradition. On voit dès lors ce qui fait leur originalité, et pourquoi elles ont une place à part et qui n’est qu’à elles dans la littérature dramatique d’aujourd’hui.

La forme adoptée par M. Bourget pour le Tribun est cette coupe en trois actes très en faveur parmi les auteurs de ces dernières années et qui semble devenue la forme classique des pièces à idées, que ce soient les Tenailles de M. Paul Nervieu, la Blanchette de M. Brieux, ou le Duel de M. Lavedan. On peut en préférer une autre, plus large, plus libre, plus souple, qui se prête davantage à des études un peu poussées des types et des milieux, qui permette à l’action quelques momens d’accalmie, aux nerfs du spectateur quelques instans de détente. Je crois, pour ma part, qu’on reviendra aux cinq actes de l’ancien théâtre et des plus belles comédies d’Augier et de Dumas. L’art reprendra quelque jour l’ampleur de sa composition et la tranquillité de ses lignes. Mais nous traversons une période de fièvre. Le public pressé, hâtif, et vite à bout de ses facultés d’attention, apprécie, au théâtre comme ailleurs, l’art des raccourcis. Le Tribun est un de ces drames serrés et ramassés, où l’action, qui ignore les détours et les repos, nous mène droit au but dans une >espèce d’emportement.

Rien d’ailleurs qui ressemble moins à l’art matérialiste et violent qui, en ces derniers temps, a semblé prendre dans notre production théâtrale une prédominance si fâcheuse. La différence essentielle et qu’il importe de noter d’abord une fois pour toutes, est qu’ici la situation, quelque poignante qu’elle puisse être en soi, n’est pas à elle-même son objet et n’est pas le principal de la pièce. Elle est pour