Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenus cultivateurs habiles et recherchés par les fermiers des environs.

Le revers de la médaille est le côté économique ; la colonie de Hadley n’a pas fait ses frais jusqu’ici, l’excédent des dépenses sur les recettes a été, en 1907, de 73 689 francs, en 1908, de 76 558 francs. Heureusement, la caisse de l’Armée du Salut reçoit, pour l’entretien des habitans de cette ferme, des subventions de l’Etat et des pensions de particuliers. Toute œuvre d’hygiène sociale coûte de l’argent. L’assainissement des quartiers et des maisons insalubres est jugé une dépense utile et même indispensable. Pourquoi n’apprécierait-on pas de même l’œuvre d’assainissement moral, accomplie par l’Armée du Salut, en purgeant les grandes villes de ces vagabonds qui sont de la graine de voleurs ? Un résultat inattendu a été la formation d’un village de 12 à 1 300 âmes, auprès de la ferme de Hadley.

Mais l’ambition du général Booth est sans bornes, comme le sont sa foi et sa charité. Instruit par l’histoire de la transportation anglaise et encouragé par le succès de quelques entreprises plus récentes, comme le sauvetage des enfans vagabonds par le docteur Barnardo, à Londres et par le Père Newton, à Liverpool, il a songé à utiliser pour les colonies anglaises ces forces perdues et souvent redoutables que sont les ouvriers sans travail. La méthode est celle d’un homme d’affaires entreprenant et avisé, elle se résume en ces deux règles : préparer le terrain colonial pour les colons de cette espèce, et préparer ceux-ci pour la colonie. Après avoir obtenu de l’Etat la concession d’un terrain arable, il commence par le faire clore, pour bâtir un certain nombre de maisons et ensuite rédige un règlement de police. L’apprentissage du futur colon n’est pas moins important. D’abord, s’il ne sait pas de métier, on lui en fait apprendre un pour lequel il soit apte et qui lui soit profitable, puis on l’aguerrit aux rudes travaux de la terre et on l’exerce à la discipline. Mais, surtout, l’officier salutiste tâche, par une sorte de rééducation, d’inculquer à ce paria la véracité, la probité, l’amour du travail et l’économie. Au bout de quelques mois, on fait parmi ces ouvriers un triage : on n’envoie dans la colonie que ceux qui ont fait preuve d’énergie et se sont montrés dignes de confiance. Les colons, par un contrat avec l’Armée du Salut, s’engagent à lui rembourser au fur et à mesure les frais de voyage et d’équipement : ces sommes