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sait d’abandonner ses marchandises contre une promesse de payer dont le signataire ne lui inspirait plus confiance. Le « système, » comme on l’appelait, s’écroula, et laissa derrière lui une telle méfiance de tout ce qui s’appelait banque, qu’une partie du xviiie siècle s’écoula sans qu’aucune tentative fut faite pour en créer une en France. Sous le ministère Turgot, un arrêt du Roi en Conseil, daté du 24 mars 1776, établit la Caisse d’escompte de commerce, au capital de 15 millions, porté plus tard à 100 millions. Elle était autorisée à émettre des billets en représentation des valeurs escomptées par elle. Le gouvernement accapara peu à peu toutes ses ressources, en se faisant consentir des avances de plus en plus considérables ; de septembre 1788 à novembre 1789, il ne lui enleva pas moins de 120 millions. L’Assemblée constituante réclama de nouveaux prêts : la Caisse, pour les fournir, porta son capital à 150 millions, mais cela n’empêcha pas le cours forcé d’être décrété et l’institution elle-même de disparaître dans la tourmente.

C’est alors qu’une loi du 21 décembre 1789 créa les assignats. Elle ordonnait la vente de biens provenant du domaine ecclésiastique ou royal jusqu’à concurrence de 400 millions, la formation d’une caisse de l’extraordinaire, destinée à recevoir les fonds provenant des ventes et la création d’assignats jusqu’à concurrence de la valeur des biens à réaliser. L’État émettait donc un billet gagé par le produit d’opérations futures et incertaines : bien qu’il ignorât l’époque à laquelle il pourrait trouver acquéreur et à quel prix, il prétendait faire de ce papier une monnaie et lui donner force libératoire. Cette conception erronée fut la source des pires abus et de la plus extraordinaire débauche de papier-monnaie que l’histoire ait enregistrée. La dépréciation des assignats augmenta rapidement, en dépit des lois de plus en plus rigoureuses qui ordonnaient à chaque citoyen de les recevoir au pair des espèces métalliques. Plus le pouvoir d’achat de ce papier diminuait, et plus les gouvernemens révolutionnaires en multiplièrent les émissions. En octobre 1795, lorsque la Convention se sépara, le louis d’or valait 2 500 livres en assignats, c’est-à-dire que ceux-ci perdaient les 124/125 de leur valeur. Le 22 décembre de la même année, les Conseils des Anciens et des Cinq Cents décrétèrent que le total de l’émission serait porté à 40 milliards, après quoi on briserait les planches et les poinçons qui avaient servi à les fabriquer. Le