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magistrat, diplomate, professeur, médecin, etc. L’enseignement secondaire ne mène absolument à rien. La vieille formule tant de fois répétée : « J’étais bachelier, je n’étais bon qu’à mourir de faim » est absolument exacte. L’enseignement secondaire ne conduit à aucune profession. Il est inutile par définition, puisqu’il n’est, comme il s’intitule lui-même, qu’une « culture générale. » En termes plus précis, il ne sert qu’à une chose : il aide à être intelligent ; il aide à avoir de l’esprit de finesse, il aide à avoir de l’esprit de logique, il aide à avoir des idées générales, il aide à avoir du goût ; il aide à être original ; il aide, selon l’excellente formule de Nietzsche, « à devenir tout ce que l’on est. » Il s’ensuit qu’il sert à tout, certes, mais qu’il ne suffit à rien ; qu’il peut servir à être très distingué dans quelque profession qu’on embrasse, mais qu’il ne mène à aucune profession, et en un mot, qu’il sert à tout, mais que, précisément à cause de cela, il ne mène à rien.

Or les deux enseignemens utiles ont fini par s’apercevoir qu’ils étaient de même nature et avaient entre eux étroit parentage et ils ont songé, ce qui était très rationnel, à se souder l’un à l’autre et à éliminer leur intermédiaire. L’enseignement primaire s’est dit : « Pourquoi mes élèves, dégrossis par moi, n’entreraient-ils pas dans l’enseignement supérieur sans passer par le secondaire, pour devenir avocats, médecins, diplomates, etc. ? » Et l’enseignement supérieur s’est dit : « Il n’y a rien de plus juste et il n’y a rien de plus pratique ; je peux très bien, d’un bon élève de l’école primaire, faire un avocat, un médecin et un magistrat ; qu’on me donne des élèves de l’école primaire. » On sait que la tendance est là et que l’on marche à très grands pas dans cette voie.

Ceux qui le déplorent, et j’en suis, font remarquer ceci : il est incontestable que l’enseignement primaire étant un apprentissage et l’enseignement supérieur en étant un autre, on peut très bien passer de celui-là à celui-ci. Il faudrait même noter, pour être tout à fait précis, que l’enseignement primaire est moins un apprentissage que l’enseignement supérieur. L’enseignement supérieur est l’enseignement d’une profession, droit, médecine, diplomatie, chimie agricole ; l’enseignement primaire est déjà culture générale, parfaitement. On y fait de l’orthographe et du calcul, mais on y fait aussi de l’histoire, de la lecture de bons auteurs et de la morale, toutes choses qui rendent