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et se terminer là où commence la violence. » Soit : ces deux limites ne sont pas bien nettes, mais entre elles il y a de la place. Un ordre du jour de confiance a été voté par 309 voix contre 114. Qu’on ne se trompe pas aux apparences de ces chiffres. La Chambre comprend tout près de 600 députés : une majorité de 309 voix n’en dépasse la moitié que d’une douzaine : il y a eu environ 150 abstentions. Ce premier scrutin ne prouve pas grand’chose : il permet seulement au ministère de vivre et à la Chambre d’attendre.

La situation, en effet, manque de netteté et la question de M. Beauregard reste pour le moment sans réponse : Êtes-vous des vaincus récalcitrans ? Êtes-vous des repentis ? La suite le montrera. Le soir de la séance, M. Jaurès avait une grande déception ; il s’était trop pressé de crier victoire ; mais, le lendemain, il tergiversait comme le gouvernement lui-même, et après avoir accusé celui-ci de « débilité, » il relevait dans la phraséologie de M. Monis, « quelques accens de brave homme, » dont pour le moment il se contentait. Tout le monde peut compter plus ou moins sur la « débilité » du ministère, mais c’est là une faible base de gouvernement. Il faudra bien que M. Monis prenne un parti plus résolu. Les déclarations et les discours ne servent que pour un temps ; M. Briand, qui les faisait mieux que personne, a fini par s’en apercevoir. Tôt ou tard il faut des actes et c’est d’après les siens que le ministère sera jugé. Sa politique, telle qu’il l’a exposée dans sa déclaration, ressemble si fort à celle de M. Briand qu’on les confond. M. Bérard a pu dire, aux applaudissemens ironiques de la Chambre : Defuncius adhuc loquitur, le mort parle encore. M. Monis a la ressource de reprendre un vieux mot parlementaire et de dire : Nous jouerons le même air que vous, mais nous le jouerons mieux. Ce sera pour nous un spectacle piquant d’entendre les hommes qui ont renversé M. Briand jouer le même air que lui, surtout si, en effet, ils le jouent mieux, et nous sommes convaincus que, dans sa retraite provisoire, M. Briand sera encore plus enchanté que nous d’y assister, car ce sera sa justification. Sa lettre au Président de la République peut se résumer ainsi : — Il n’y a pas d’autre politique possible que la mienne, et, puisque je suis un obstacle, je m’efface pour que vous la fassiez. — Et c’est ce que M. Monis a commencé défaire. Mais pourquoi, ou plutôt à quoi M. Briand était-il un obstacle ? Était-ce vraiment à la réalisation de sa politique ? Non et on le voit bien : c’était à la satisfaction des appétits et des impatiences de ceux qui voulaient le remplacer. Il y a quelques semaines à peine, M. Cruppi, du haut de la tribune,