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d’autres, il a produit finalement sur une fraction de la majorité républicaine de la Chambre l’effet contraire de celui que je pouvais en espérer. » Cette politique était sensée et honnête, mais M. Briand en espérait trop s’il la croyait de nature à satisfaire, ou seulement à désarmer les radicaux-socialistes. Malgré tout, il reste convaincu que c’est la seule possible et que, par conséquent, elle sera, bon gré mal gré, appliquée par ses successeurs quels qu’ils soient, s’ils veulent durer. Lui seul ne peut plus la servir, au moins provisoirement, à cause, dit-il, « d’une méfiance qui va sans cesse grandissant, d’une hostilité qui devient chaque jour plus systématique, chez un certain nombre de républicains, contre le chef du gouvernement. » Il y a du vrai dans le jugement porté par M. Briand sur la situation et sur lui-même. Venu de l’extrême-gauche socialiste, ses anciens amis l’avaient renié, et il n’avait pas eu le temps de se faire ailleurs une clientèle personnelle. Il était à quelques égard un isolé dans la Chambre. Sa force n’était pas là, elle était dans le pays. Mais, à moins de dissoudre la Chambre, un ministre parlementaire ne peut pas vivre sans elle, et M. Briand a senti peu à peu augmenter pour lui la difficulté de subsister. Il s’est donc sacrifié dans l’intérêt même de sa politique et de son programme : nous verrons bientôt que ses prévisions n’ont pas été tout à fait trompées.

La crise une fois ouverte, on s’est demandé à qui s’adresserait M. le Président de la République pour la fermer. Il s’est adressé à M. Monis. M. Monis a été garde des Sceaux pendant le ministère Waldeck-Rousseau. Actif, remuant même, doué d’une parole vive et prompte, il occupe au Sénat une place importante. Il a pris part dans ces derniers temps à plusieurs discussions, notamment à celle des retraites ouvrières, pour lesquelles il a montré un enthousiasme dithyrambique. Cependant son passé ne donnait aucune indication précise sur ce qu’il allait faire. Conserverait-il quelques membres de l’ancien Cabinet ? Ferait-il au contraire maison nette et y appellerait-il des hommes nouveaux ? Il a pris le dernier parti. La débâcle a été complète ; seul M. le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts y a échappé, ce qui ne fait de mal à personne : on est habitué à M. Dujardin-Beaumetz ; mais, à cette exception près, tout le Cabinet a été renouvelé. Le caractère en est nettement radical et radical-socialiste. Dans la hâte qu’il éprouvait d’en finir, on a vu, au dernier moment, M. Monis distribuer les portefeuilles comme des billets de loterie : le pur hasard a semblé présider à quelques-uns de ses choix et nous n’y ferons pas plus d’attention que lui-même. Sur deux points toutefois